LES MONDES NUMERIQUES

Blog des Masters en Sciences Sociales de l'Université Gustave Eiffel

Linkedin. Usage d’un réseau social professionnel par les étudiants de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée

par Vercruysse Jordan, Camara Aly Mohamed et Lidoreau Jessica

Avec quelques centaines de millions d’utilisateurs dans le monde, les réseaux sociaux aujourd’hui tiennent une place importante dans nos sociétés industrialisées. Si l’être humain a comme caractéristique d’être un être vivant fondamentalement social, comme l’ont démontré de nombreuses recherches en psychologie, c’est peut-être ce qui a poussé le développement et la multiplication  des réseaux sociaux numériques depuis le milieu des années 90. Ils sont définit par Yannick Fondeur comme des “réseau(x) socia(aux) formalisé(s) par l’intermédiaire d’un dispositif fondé sur les technologies de l’information et de la communication et spécifiquement dédié à la constitution ou à la reconstitution de connexions sociales, à leur gestion et/ou à leur mobilisation à des fins personnelles ou professionnelles.” (Fondeur et Lhermitte, 2006, p.109). Au départ voués à reconstituer des sociabilités interrompues, les plateformes deviennent des outils de communication et des moyens de partage de contenu à partir de 2002. C’est en 2003 que le premier réseau de mise en relation professionnelle prend forme. Il s’agit là de (re)constituer numériquement des connexions sociales afin de trouver des clients, des partenaires, des fournisseurs, des salariés ou des employeurs. LinkedIn, créé en 2003 aux Etats-Unis, est considéré comme le premier site du genre. Fin 2006, il comptait 8 millions de membres. En 2017 en France, on y compte 14 millions d’inscrits, dont 3,2 millions d’utilisateurs mensuels estimés.

 

Alors qu’on leur attribue un public jeune, une analyse des audiences des différents réseaux sociaux montre que LinkedIn est celui aux utilisateurs les plus âgés: 79% de ses utilisateurs ont plus de 37 ans en 2016. La force de ce réseau semble d’établir un mélange entre le formel et l’informel pour favoriser ses chances d’accéder au marché du travail. Proposant annonces, mise en lien autour de centres d’intérêts, et possibilité d’établir des contacts, c’est l’utilisation de liens faibles (Granovetter, 1973) qui permettrait d’accéder à des opportunités d’emploi. Vient alors la question des étudiants universitaires et en particulier des Masters dont l’insertion dans le monde du travail est imminente, que ce soit dans la recherche de stages, contrats en alternance ou premier emploi. Le réseau social LinkedIn devient un moyen plébiscité par ce public pour parvenir à atteindre un marché du travail difficile d’accès. Nous nous interrogeons alors sur la présence des étudiants sur la plateforme LinkedIn alors qu’ils ne sont pas encore réellement sur le marché du travail, que leur expérience professionnelle reste limitée. Quel sont leur intérêts, leurs motivations à s’inscrire sur le réseau social ? Comment se l’approprient-ils ? Développent-ils des usages spécifiques ?

 

Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé une étude documentaire sur les réseaux sociaux et plus particulièrement sur le réseau social professionnel LinkedIn. Nous nous sommes d’abord intéressés aux caractéristiques des réseaux sociaux et aux possibilités offertes par LinkedIn à ses utilisateurs. Ensuite, nous avons rédigé un questionnaire composé de 18 questions abordant différentes thématiques telles que la taille du réseau social des étudiants, leurs motivations, leurs usages, son utilité en tant que moyen de communication. Le questionnaire a été transmis de manière électronique à une dizaine de groupes d’étudiants de l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée via leur page Facebook, ainsi qu’à une dizaine d’étudiants via la messagerie LinkedIn. Le format électronique a été privilégié car il semble plus adapté à une population étudiante plutôt connectée. Il permet également de faciliter la réponse depuis les différents terminaux électroniques tels que les téléphones mobiles, les tablettes, les ordinateurs. La transmission s’est faite au travers d’un message envoyé personnellement à la personne pour LinkedIn et à l’administrateur du groupe facebook.  Nous avons pensé que le système de notification d’une publication sur facebook ou de la réception d’un message pour Linkedin pourrait jouer en notre faveur afin de récolter des réponses rapides. Pour mettre toutes les chances de notre côté, nous avons tenus à ce que le questionnaire reste dans une taille raisonnable nécessitant un temps de réponse plutôt court, autour de 10 minutes. Au 17 janvier 2018, nous avons récolté seulement 6 réponses. Bien qu’ayant relayé l’information auprès de différents groupes, sur différents réseaux sociaux et auprès de contact, nous avons obtenu un taux de réponse assez faible. L’enquête aurait gagner en représentativité en y consacrant plus de temps et en testant peut-être d’autres méthodes de passation. Le temps imparti ne nous l’a pas permis. Ces résultats ne nous permettront pas d’être représentatif de l’ensemble des étudiants de l’université de Paris-Est marne-la-Vallée. Cependant, ils permettent de dégager quelques grandes tendances.

 

Ce document basé sur notre étude documentaire ainsi que les résultats de notre enquête consacre une première partie à la présentation de LinkedIn, ses spécificités et les différentes pratiques relevées dans des études précédentes. Ensuite, nous consacrerons une seconde partie aux étudiants, leur présentation, leurs caractéristiques ainsi que leurs usages, notamment leur inscription dans un modèle de la promotion de soi.

LinkedIn leader actuel, présentation et appropriations

Essence des réseaux sociaux professionnels

 

La révolution internet a touché tous les marchés y compris celui de l’emploi. Plusieurs chemins s’ouvrent alors: un modèle centralisé et d’autres modèles alternatifs (Fondeur et Lhermitte, 2006, p.101). Le premier est celui de type “Jobboard”. Il s’agit là de se faire rencontrer l’offre d’emploi et la demande sur le principe des petites annonces, mises en lignes sur des site internets. Ces derniers pouvant être spécialisés selon les secteurs ou généralistes. Les seconds ont une conception qui accorde davantage d’importance au caractère social d’Internet. Pour cause, en considérant que les relations interpersonnelles ont un rôle à jouer dans la distribution des emplois, ils font le pari de la mise en relation interpersonnelle autour du travail. C’est la naissance des réseaux sociaux professionnels.

 

Depuis les années 30, les sociologues du travail et économistes rendent compte de deux types de recherche d’emploi. La première, formelle, peut-être liée aux sites internet de types “Jobboards”: le candidat répond à une annonce, réalise une candidature spontanée ou fait appel à un service pour trouver un emploi. la seconde, dite informelle renvoie à la mobilisation de son réseau social, en tant qu’une “entité constituée d’un ensemble d’individus (Il peut aussi s’agir d’organisations, d’institutions) et des relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres, directement ou indirectement par le biais de chaînes de relations.” (Fondeur et Lhermitte, 2006). Que ce soit la famille, les amis ou toute autre connaissance, elle est susceptible de devenir un support pour faire son entrée ou obtenir une mobilité dans le monde professionnel. En ce sens, les réseaux sociaux professionnels peuvent être considérés comme l’extension numérique d’un mode d’accès à l’emploi.

Dans notre cas, il est légitime de penser que les étudiants en Master 2 accordent de l’importance à leur insertion professionnelle. La question qui nous anime est donc de savoir s’ils utilisent les réseaux sociaux professionnels et quelle(s) utilisation(s) ils en font. En raison de la conjoncture actuelle, il nous semble pertinent de se pencher sur l’utilisation de LinkedIn, réseau social qui porte également un volet proche du Jobboard.

 

De la proposition LinkedIn au profil personnalisé

 

Lancé en 2003, LinkedIn se réclame sur son site officiel de plus grand réseau professionnel, avec 500 millions d’utilisateurs, représentés dans 200 pays. La mission affichée est connecter les professionnels du monde entre eux pour améliorer leur productivité et favoriser leur réussite professionnelle.” Pour se faire, l’entreprise propose la mise en relation avec des personnes, l’affichage des dernières actualités, nouvelles et informations. Dans une étude réalisée par PageGroup sur l’utilisation du réseau professionnel par les cadres, quatres utilisations de LinkedIn sont recensées. En les classant compte tenu des motivations pour les étudiants à s’inscrire sur le réseau social, on obtient des usages pour:

 

-la recherche d’emploi

-l’accroissement de la visibilité

-le développement du réseau professionnel,

-la veille professionnelle.

 

Afin de mieux en comprendre l’utilisation, attardons-nous sur le fonctionnement du site internet. Le point de départ est une inscription gratuite. Le nouvel utilisateur doit alors se créer un “profil” contenant son identité, sa situation professionnelle actuelle et d’autres éléments proches d’un CV classique. Ainsi sont attendus les “expériences”, la “formation”, les “expériences de bénévolat” et les “centres d’intérêts”. Le réseau insiste sur certains conseils afin de rendre le profil du nouveau venu le plus attractif possible. Entre autres, les utilisateurs sont invités à poster une photo, partager leurs compétences, rédiger un résumé de présentation afin de de gagner en “force de profil”. Trois niveaux se distinguent: “débutant”, “intermédiaire” et “expert absolu”. Monter dans les niveaux nous dit le site, garantit une visibilité jusqu’à 27 fois plus forte auprès des recruteurs entre le premier niveau et celui d’expert. Disposer d’un profil complet rendrait également les suggestions de postes et les nouvelles du fil d’actualité plus pertinentes. En ce qui concerne les étudiants ayant répondus à notre questionnaire, ils considèrent tous avoir rempli leur profil avec des informations exactes et exhaustives. Ce point va vers l’idée que l’inscription LinkedIn est une démarche sérieuse dans laquelle les utilisateurs placent une visée instrumentale, comme il en va du CV et de la lettre de motivation.

Reconstruire son réseau ou construire un réseau ?

 

Une fois le profil complété et même avant de l’avoir achevé, il est question pour l’utilisateur de chercher des connaissances et étoffer son réseau. Pour ce faire, différents canaux sont disponibles: suivant les données du profil (localisation, formation, expériences…), le réseau va suggérer des personnes que l’utilisateur a pu déjà côtoyer durant son parcours. Une autre option plus directe via la barre de recherche, permet à l’utilisateur d’entrer des noms connus et d’accéder directement aux profils recherchés. Il sera également invité à pairer son profil LinkedIn avec ses autres profils (Facebook, Gmail…) afin d’inviter des amis de ces réseaux à rejoindre sa liste de contacts ou à s’inscrire à leur tour s’ils ne le sont pas déjà. La force de l’algorithme LinkedIn est de proposer de nouvelles relations sur la base du réseau déjà constitué. Conformément à l’apport de Barnes en 1954, LinkedIn rend compte des chaînes de relation entre les individus (Fondeur et Lhermitte, 2006). Ce concept renvoie à l’idée que tous les individus sont liés entre eux par un filet comportant différents maillons selon le nombre de personnes nous séparant d’une autre. Les suggestions LinkedIn informent donc l’utilisateur du nombre de personnes le séparant de celle suggérée, d’où les qualificatifs “premier rang”, “deuxième rang” ou “troisième rang” en dessous des vignettes de profils.

 

Dans une étude sur le réseautage d’un ancien groupe d’étudiants sur LinkedIn, Julien Mésangeau renvoie à différentes formes de mise en contact et d’échanges (Mésangeau, 2012). Celle qui prévaut pour l’ensemble de nos étudiants est celle dite du “Netsicking”. Cette pratique renvoie au fait d’entrer en contact uniquement avec des personnes déjà rencontrées hors-ligne. Dans son article, l’auteur explique ce phénomène à travers l’importance que pourraient avoir ces contacts en certaines occasions. Ces éléments nous amènent à penser que le réseau LinkedIn des étudiants est plutôt familier et sécurisant. A l’opposé, la pratique dite du “Netmining” utilise le réseau social sur un mode exploratoire. Il convient ici d’ajouter un grand nombre de personnes à sa liste de contacts, au gré des suggestions, pour peut-être saisir grâce à elles des opportunités futures. Enfin, une approche plus stratégique est celle du “Networking”. La question dans ce cas est d’établir un tri, un choix dans les mises en relation LinkedIn, en raison du rôle que pourraient jouer ces acteurs dans un plan déjà établi.

 

Pour une recherche d’emploi et servir la veille professionnelle

Il est temps de revenir sur le côté “Jobboard” de LinkedIn, qui nous permet de lui donner non-seulement le titre de réseau social, mais également de plateforme professionnelle. D’après le Conseil National du Numérique, les plateformes  “organis(ent) la mise en relation entre offre et demande, (elles) participent au développement du commerce et de l’économie. Elles se construisent pour la plupart autour d’une fonction d’usage massivement utilisée par les utilisateurs et deviennent ensuite un espace de rencontre entre une offre de produit ou de service et des clients potentiels.” Pour cause, le site propose un service de mise en relation entre offres d’emplois et les utilisateurs, via un onglet spécifique sur le site internet et une application mobile. Pour se faire, les entreprises peuvent elles-mêmes créer leurs profils “entreprise” et accéder à la possibilité de publier des offres moyennant paiement. De l’autre côté, les utilisateurs peuvent rechercher des offres d’emplois par une barre de recherche incluant la location. D’un autre côté, il est également possible de  recevoir des e-mails et notifications avec des postes “qui pourraient vous intéresser”. Ici, posséder un compte “premium”, autrement dit payant, offre davantage de possibilités et d’actions sur ces offres d’emplois. On y répertorie la communication directe avec les recruteurs, une apparition en tant que “candidat pressenti” dans les notifications de ces derniers, l’accès à des cours en ligne et une prévision par rapport aux autres candidats concernant notre degré de correspondance avec le poste convoité. Notre questionnaire porte ici un manque dans le sens où n’apparaît pas de question au sujet d’une éventuelle utilisation premium de la plateforme professionnelle. Cependant, le fait que les étudiants ne placent pas la recherche d’emploi comme première motivation de l’inscription à Linkedin nous fait penser qu’ils n’ont pas tendance à s’abonner à cette offre.

 

Enfin, la fonction de veille professionnelle proposée par le réseau social réside dans la possibilité pour les inscrits de suivre des acteurs du marché (entreprises, influenceurs), de rejoindre des groupes liés à des centres d’intérêts et d’en être acteur par le partage d’informations (médias, articles…). Il apparaît que cet aspect est représenté dans une moindre mesure par les étudiants de l’université, un seul se prononce en faveur de l’utilisation du réseau social pour accéder à des groupes d’intérêt similaire et aucun ne s’exprime sur l’usage du réseau social pour surveiller les acteurs du marché.

 

Ces éléments tendent vers un usage du réseau social assez profane. Pour cause, bien que leur but est de se rendre visible sur un marché du travail auquel ils n’ont pas encore accès, il apparaît au regard de l’analyse de leurs réseaux que ceux-ci sont constitués en majorité de personnes de leur premier cercle. Attachons-nous maintenant à explorer plus en détail la place que ces étudiants occupent sur LinkedIn.

La place des étudiants sur un réseau social professionnel

Des étudiants expérimentés

 

Pour beaucoup, l’étudiant est un individu poursuivant son cursus scolaire avant de pouvoir accéder à l’emploi et au contexte professionnel. Nous nous interrogions alors concernant leur présence sur un réseau social professionnel tout en ayant encore aucune ou très peu d’expérience professionnelle. Or, au travers de cette enquête, nous nous sommes aperçu que cette représentation de l’étudiant est bien obsolète. Tous nos enquêtés, sans exception, possède une expérience professionnelle de plus d’un an, ce qui est loin d’être insignifiant. Nous pouvons même penser que les étudiants en formation continue, présents en master, sont encore plus expérimentés. Aujourd’hui, même dans le cadre de formation longue universitaire, l’accès au monde du travail ne se fait plus uniquement à l’issue du parcours de formation, mais pendant la formation. Cela s’explique par l’augmentation des formations professionnalisantes depuis le milieu des années 1980 (Erlich, 2010), suite à la création du baccalauréat professionnel et des différentes réformes des trois catégories de baccalauréat.

 

L’université doit faire face à une désaffection notamment de ses filières générales au profit des nouveaux établissements proposant des formations professionnalisantes, plus appliquées que théoriques (STS, IUT, écoles d’ingénieurs, écoles de commerces). Elle développe alors une offre de formation professionnalisante et sélective (formations d’ingénieurs, licences pro, masters pro) pour répondre à une demande en masse des étudiants. Dans un contexte économique difficile où le chômage des jeunes diplômés reste très présent, l’insertion professionnelle devient un sujet incontournable pour les étudiants, un enjeux essentiel pour les établissements d’enseignement et les politiques publiques. Ces formations se poursuivent uniquement en association avec une activité professionnelle sous contrat d’apprentissage et de professionnalisation. Elles dotent les étudiants d’une plus grande expérience professionnelle, de compétences pratiques et d’un réseau social lié à ce contexte.

 

D’ailleurs, nos enquêtés possèdent pour la majorité (70% d’entre eux) plus d’une centaine de contacts sur leur profil Linkedin. Pour 83% d’entre-eux, ces connaissances sont essentiellement liées à un contexte professionnel ou un parcours de formation. Pour quelques-uns, il s’agit plutôt de proches ou d’amis retrouvés. Il ne faut pas oublier que le parcours de formation peut apporter un grand nombre de contacts et constituer un puissant réseau social pour les étudiants et anciens étudiants, tels les réseaux alumni des grandes écoles. Certaines écoles s’appuie sur ce réseau pour se constituer leur notoriété.

 

Les plateformes de réseaux sociaux professionnels peuvent alors apparaître simplement comme de bons outils de gestion de carnet d’adresse dont les membres pourront être mobilisés ultérieurement pour entrer en contact avec un contact éloigné ou pour faciliter l’accès à un emploi par exemple. L’action sur le réseau social professionnel est alors guidé par une logique d’intérêt. Apparaissent alors des stratégies de multiplication des contacts, cherchant à accroître sans cesse la taille de leur réseau. Certains de nos enquêtés possèdent un réseau déjà étendu composé de plus de 200 contacts. Plus généralement, il n’est pas rare de rencontrer des profils dont le réseau est composé de plusieurs centaines de contacts. Dans ce cas, la connexion se fait sans relation préalable, via une demande de mise en contact direct. Cette stratégie permet de toucher un grand nombre de membres via les mises en relation indirectes et permet également d’accroître sa visibilité. En effet, la taille du réseau est un critère déterminant dans l’ordre d’apparition des membres.

Des étudiants très actifs sur le réseau social

Internet a connu un grand mouvement de massification et de démocratisation des usages depuis 1995. (Cardon, 2010). Il regroupe alors une population beaucoup plus hétérogène qu’à ces débuts. Ils s’y connectent pour échanger et partager des contenus. Les usages deviennent quotidiens, familiers et plus réalistes. Loin de rassembler des inconnus, les communautés virtuelles regroupent des individus sur la base de leur proximité sociale, géographique et culturelle. D’après Fabian Ropars,  community manager chez “Blog du Modérateur”, dans un article publié le 8 août 2017 sur ce même blog, affirme que, « le monde compterai 3,8 milliards d’internautes, et 3 milliards d’utilisateurs de réseaux sociaux. Depuis avril 2017, le nombre d’utilisateurs d’Internet a augmenté de 0,2%, mais les utilisateurs de réseaux sociaux de 4% et les mobinautes de 2%.». Le 18 avril 2014 le réseau professionnel LinkedIn a annoncé avoir dépassé la barre des 300 millions d’utilisateurs. Les étudiants présents sur LinkedIn, à l’image de ce mouvement de massification de l’internet y développe une activité assez intense, intégrée à leur quotidien. La grande majorité s’y connecte plusieurs fois par semaine, voir tous les jours pour la moitié de nos enquêtés. On peut alors se demander quels sont les différents usages de ce réseau par les utilisateurs et plus particulièrement quels sont les usages que peuvent en faire les étudiants.

LinkedIn s’inscrit dans les habitudes de communication de ces utilisateurs puisque sa messagerie est utilisée par les étudiants pour entrer en contact avec leur réseau au même titre que le téléphone et la messagerie d’autres réseaux sociaux. Seul le mail se détache un peu des moyens de communication proposés. Ceci n’est pas très étonnant puisque le réseau de nos enquêtés est essentiellement composé de contact lié à un contexte professionnel. Ce moyen de communication est encore très utilisé dans les entreprises pour échanger entre les services, entre les établissements, avec sa hiérarchie, avec les clients ou les fournisseurs.

Lorsque l’on regarde les usages de nos enquêtés sur les douze derniers mois, on peut voir que tous affirment avoir cherché un emploi ou un stage par ce biais ; près de 67% se sont tenus informés sur le secteur d’activité recherché et ont mis à jour leur profil dans un but d’amélioration et plus grande visibilité. Un tiers seulement des enquêtés affirment se servir du réseau pour écrire et/ou partager des articles sur des sujets qui les intéressent. On peut alors s’interroger sur ce que l’on peut attendre des réseaux sociaux numériques dans la recherche d’un emploi.

 

Dans son étude de la fréquence des contacts avec les relations ayant permis d’accéder à un emploi, Granovetter, en 1973, montre que ces contacts sont majoritairement occasionnels. Il les qualifie de “liens faibles”. Parce qu’ils évoluent dans des environnements sociaux variés, ils permettent de saisir des opportunités dont on aurait pas eu connaissance par nos “liens forts”, c’est-à-dire notre famille, nos amis proches. Nos enquêtés ne dérogent pas à la règle. En effet, 83% d’entre-eux déclarent être en contact avec les membres de leur réseau Linkedin moins d’une fois par mois, voir jamais et très peu, seulement 16,7% des enquêtés utilisent LinkedIn pour communiquer avec leur contact.

 

Yann Fondeur (2006), dans son article concernant les réseaux sociaux numériques et le marché du travail rappelle les avantages et limites de la recherche d’emploi sur les plateformes de réseaux sociaux professionnels. Tout d’abord, les plateformes peuvent apparaître comme la promesse d’accéder, pour les candidats, aux segments confidentiels du marché du travail, et pour les recruteurs, à des individus en poste. Pourtant LinkedIn, comme d’autres réseaux sociaux professionnels, propose des onglets dédiées à l’emploi, dans lesquels sont publiées des annonces.

 

Ensuite, elles peuvent représenter la promesse d’un emploi plus adapté notamment parce que les informations présentées sont socialement évaluées et filtrées. L’évaluation sociale des candidats passe par les processus de recommandation public (témoignages) et confidentiels (message de recommandation). Il existe également des mécanismes informels de contrôle social passant par les contacts directs capables d’évaluer l’adéquation entre les informations présentes sur le profil et la réalité. Ainsi, les utilisateurs sont incités à renseigner leur profil de manière sincère. Transmettre une information est alors un processus sélectif qui consiste à évaluer préalablement l’adéquation entre l’information et la personne destinataire.

 

Par conséquent, les informations reçues sont socialement filtrées et promettent un taux réduit de mauvaises informations ou d’informations inadaptées. Cela a pour contrepartie une forte subjectivité de la diffusion de l’information.

L’avènement de la promotion de soi

Nous nous intéressons plus particulièrement à une dimension des réseaux sociaux, celle de l’utilisation de ces derniers pour la promotion de soi, la valorisation et la mise en avant d’une image positive par les utilisateurs.

L’importance grandissante de la promotion de soi est ancrée dans le développement des technologies numériques d’information et de communication. Elle a une valeur essentielle qui peut être positive comme négative dans le développement des opportunités de travail. Chauvin définit la réputation comme une “représentation sociale partagée, provisoire et localisée, associée à un nom et issue d’évaluations sociales plus ou moins puissantes et formalisées”. Elle repose sur la perception, l’évaluation et l’assemblage d’un certain nombre d’information rendues disponibles et objectivées au travers de dispositifs techniques de mesure de la valeur des individus tels que le nombre de contacts, les diplômes et certifications, le nombre de recommandations d’une compétences, les témoignages d’expériences positives, etc. (Beuscart et Mellet, 2015).

Chaque individu cherche alors à se forger sa propre identité sur le réseau social et à administrer sa e-réputation selon ses propres règles. Il use de moyens, de stratégies pour promouvoir positivement son identité. Dans la conclusion de l’article de Fabien Granjon et Julie Denouël. “Exposition de soi et reconnaissance de singularités subjectives sur les sites de réseaux sociaux”, les auteurs affirment que « L’exposition de soi passe par la sélection de facettes personnelles, la mise en lumière de certains traits estimés distinctifs et la valorisation de soi par contraste, en laissant nécessairement dans l’ombre d’autres éléments caractéristiques de sa personne, notamment ceux qui seraient susceptibles de brouiller l’image spécifique de soi que l’on essaie de faire reconnaître. » (Granjon et Denouël, 2010) L’internaute opère sans cesse des choix entre ce qu’il montre à son public et ce qu’il cache, ajuste le contenu publié pour mettre en avant ou au contraire effacer certains aspects, afin de donner une image qu’il a choisi. Selon Claire-Marie Rozel, ancienne étudiante à l’Université Catholique de l’ouest, dans son mémoire “ Les supports Web 2.0 et la promotion de soi pour les e-recruteurs”, affirme qu’« avec l’avènement du Web 2.0, c’est a priori la notion de promotion de soi qui s’est développée, chacun détenant par sa présence virtuelle, ses actes, ses écrits, ses productions diverses, la possibilité d’être son propre ambassadeur, acteur de sa propre vie en maîtrisant ses discours, ses promesses (mon identité, mes compétences et savoirs faire, mes ressources, mes liens, mes contacts)» (Rozel, 2013). Au quotidien, chaque utilisateur mobilise tout un ensemble de conduites, de stratégies mais aussi de méthodes pour manifester, afficher et communiquer une bonne image de lui-même.  L’utilisateur est alors acteur de ses propres productions sur LinkedIn. Comme pour les grimpeurs de Guillaume Dumont, le travail réputationnel semble de plus en plus inscrit dans le quotidien des travailleurs, des individus en recherche d’emploi, comme des étudiants dont le but est d’élargir le champ des possibles dans la recherche d’un emploi ou d’opportunité (Dumont, 2016).

Le réseau social cadre assez peu l’expression des utilisateurs. La plupart des champs disponibles pour compléter son profil est composé de plages d’expression libre. Ils sont alors très libres et peu contrôlé par LinkedIn lui-même dans les informations qu’ils diffusent. Le contrôle se fait plutôt a posteriori, par les membres du réseau social, suffisamment proches pour pouvoir évaluer la distance entre ce qui est diffusé et la réalité. C’est pourquoi les informations mises en ligne sur la plateforme sont souvent exactes. D’ailleurs l’ensemble de nos enquêtés affirment que les informations présentées sur leur profil sont exactes. Alors qu’au contraire, un certain nombre de recruteur pourraient nous affirmer qu’ils ont déjà été confronté à des curriculum vitae dont les informations étaient en partie fausses. Il s’agit d’une des raisons qui ont fondé le succès de LinkedIn auprès des recruteurs. Il permet l’accès à des personnes en postes, dont les informations sont régulièrement mises à jour et plutôt exactes.

La promotion de soi demande également certaines qualités communicationnelles dans la rédaction d’article, la publication de photos, de vidéos, de plaquettes publicitaires, etc. Sur le réseau social LinkedIn, elle renvoie d’abord, à la manière dont est affectueusement conçu le profil des utilisateurs. Pour se mettre en valeur, certains utilisateurs essaient de rendre plus attractif leur profil, tout en ajoutant des images, des documents, des vidéos, des présentations pour attirer davantage l’intérêt de ses contacts. Ensuite, l’auto-promotion est distinctif grâce à l’originalité de la mise en avant des compétences, des expériences professionnelles et les éventuels projets qu’ont réalisés les internautes. Enfin,  toutes les actions entreprises par ceux-ci sur LinkedIn émanent d’une manoeuvre soigneusement réfléchie et ciblée pour toucher et “vendre” leur identité aux autres utilisateurs.

 

Conclusion

En conclusion de ce travail, nous pouvons apporter une réflexion sur l’appropriation et l’utilisation du réseau social LinkedIn par les étudiants. En premier lieu, la recherche d’emploi ou de stage est le facteur déterminant de l’inscription. Ainsi, l’ensemble des étudiants se montre soucieux d’accroître leur visibilité auprès des potentiels recruteur via la plateforme. Pour cela, ils développent un travail de réputation qui comprend essentiellement le partage d’information concernant leur identité professionnelle: formation, via associative, expériences passées. Celui-ci se dirige avant tout vers un cercle professionnel constitué hors-ligne (Netsicking), composant principal de leur réseau LinkedIn.

Contrairement à notre hypothèse de départ, les étudiants interrogés disposent d’une expérience professionnelle leur permettant de commencer à utiliser LinkedIn, de façon soutenue, plutôt quotidienne. Pourtant, nos recherches montrent que les pratiques autour de cette plateforme de réseau social sont plus étendues que ce qu’en font les étudiants en Master de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. En effet, les outils mis à disposition permettent une action plus diversifiée que la mise en ligne de ce qui s’apparenterait à un Curriculum Vitae. Entre autres, la participation à des groupes d’intérêt, le partage de contenus voire l’écriture de ses propres articles, réflexions personnelles.  On remarque aussi des pratiques de constitution de réseau différentes de celle utilisée par les étudiants: la multiplication de contacts sans objet précis (Netmining), l’ajout selon les opportunités futures perçues (Networking).

En somme, nous pouvons donc dire que l’utilisation de LinkedIn de la part des étudiants reste superficielle. Disposant d’un réseau dans lequel ils trouvent une certaine sécurité, il apparaît que ce public peine à développer sa visibilité une fois leur profil complété. Ce comportement limite alors les potentialités dans le but premier de leur inscription: trouver un emploi. Pour aller plus loin, nous pourrions donc nous interroger sur les raisons qui font que les étudiants ne sont pas pro-actifs sur la plateforme ou encore quels sont les déterminants de la prise de contact et de l’ajout de nouvelles personnes dans une stratégie d’étendue du réseau professionnel.

En ce qui concerne la méthode employée dans notre recherche, il semble important de remarquer le manque de représentativité de notre échantillon. En cause, la méthodologie nécessaire à l’élaboration d’un questionnaire nous a pris beaucoup de temps. De plus, nous pouvons remettre en question la distribution du questionnaire par le biai d’internet, qui aurait pu nous permettre de récolter davantage de réponses si nous l’avions présenté physiquement à des groupes d’étudiants, ce que le facteur temporel ne nous a pas permis. Les recherches documentaires nous ont, par contre, amené à dégager de grandes tendances qui s’appliquent à notre échantillon réduit. Dans une démarche de travail en groupe, l’utilisation des nouvelles techniques de partage à distance ont facilité la circulation des informations et le travail en équipe. Enfin, le sujet choisi apparaît pertinent, dans la mesure où l’utilisation de LinkedIn par les étudiants se généralise et est l’objet même de développement récent par l’entreprise. En effet, l’application LinkedIn Students propose un service de mise en contact d’entreprises et d’étudiants en fonction des établissements fréquentés et des études, vers l’obtention de stages et emplois.

Bibliographie

Beuscart Jean-Samuel, Mellet Kevin, « La conversion de la notoriété en ligne. Une étude des trajectoires de vidéastes pro-am », Terrains & travaux, vol. 26, no. 1, 2015, pp. 83-104.

Cardon Dominique, 2010, La démocratie internet. Promesses et limites, coll. La république des idées, ed. Seuil

Dumont Guillaume, « Le travail réputationnel. Une approche ethnographique du

travail de production de la réputation chez les grimpeurs professionnels », Réseaux

2016/5 (n° 199), p. 155-182.

Erlich Valérie, Verley Elise, « Une relecture sociologique des parcours des étudiants français : entre segmentation et professionnalisation », Education et sociétés, 2010 :2 (n°26), p. 71-88

Fondeur Yannick, Lhermitte France, “Réseaux sociaux numériques et marché du travail”, La Revue de l’IRES, 2006/3 (n°52)

Granjon Fabien, Denouël Julie, « Exposition de soi et reconnaissance de singularités subjectives sur les sites de réseaux sociaux », Sociologie, 2010/1 (Vol. 1), p. 25-43.

Mesangeau Julien, « Le réseautage et ses usages : le cas d’un groupe d’anciens étudiants hébergé sur LinkedIn », Terminal [En ligne], 111 | 2012, mis en ligne le 29 août 2015, consulté le 16 janvier 2018. URL : http://journals.openedition.org/terminal/967

Rozel Claire-Marie, 2013, Les supports Web 2.0 et la promotion de soi pour les e-recruteur

 

Webographie

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