LES MONDES NUMERIQUES

Blog des Masters en Sciences Sociales de l'Université Gustave Eiffel

En quoi internet et les nouvelles technologies numériques permettent une nouvelle forme de harcèlement ?

Justine SALAÜN et Maora PROUST

Le numérique est incontestablement omniprésent dans nos sociétés actuelles. L’essor des technologies digitales, la fréquentation toujours en hausse des réseaux sociaux numériques ou encore l’augmentation constante du nombre de jeunes sur internet sont des exemples concrets de l‘évolution des pratiques numériques en 2016-2017.

Internet prend une place de plus en plus importante chaque année dans la vie sociale quotidienne des individus, et plus spécialement des jeunes. Désormais, notre identité est retranscrite dans son entièreté sur internet. Avec les profils sociaux que nous entretenons régulièrement, les liens relationnels familiaux et amicaux virtuels ou encore les blogs que nous tenons ou consultons, nous menons sur internet une véritable présentation de soi, ou même plutôt une certaine apparence de soi. En effet, l’identité qui se forge n’est pas véritablement conforme à la vraie personnalité des individus, mais plutôt ce qu’ils veulent bien laisser paraître. C’est donc une identité fabriquée. Et le fait qu’internet soit un outil virtuel et que tout ce qui s’y rapporte soit, en quelque sorte, distant, crée néanmoins une certaine désinhibition et permet parfois à des individus de s’exprimer d’une façon qu’ils n’oseraient pas employer en face à face. C’est l’une des nombreuses dérives de l’utilisation du numérique.

Pour ce travail de recherche, nous souhaitions nous pencher sur un aspect de cette dérive du numérique qui concerne particulièrement l’apparition d’un cyber-harcèlement sous plusieurs formes. Le numérique est, on le sait, une pratique intrusive devenue indissociable du quotidien de nombreux individus. Et l’accès à ces technologies numériques à un jeune âge créé des avantages en termes d’apprentissage, d’ouverture d’esprit ou encore de flexibilité sur les individus concernés. Mais c’est aussi un danger qu’il faut prendre en compte. Il est nécessaire de faire comprendre aux plus jeunes utilisateurs que les technologies avec lesquelles ils grandissent ne sont pas des jeux sans conséquences. Car si 100% des 12-39 ans sont des internautes[1], tous ne sont pas au courant des dangers que cela représente. Le numérique a littéralement envahi nos quotidiens et cela entraîne notamment un changement dans la césure entre vie sociale publique et vie privée. Auparavant, avant l’utilisation constante des réseaux sociaux et autres plateformes numériques, les individus avaient une vie sociale publique qu’ils maintenaient tous les jours en discutant avec leurs liens forts et faibles[2]. Mais une fois de retour dans leur sphère privée, ils n’avaient de liens qu’avec les personnes les plus proches d’eux et n’avaient pas à entretenir de conversations publiques par exemple. Aujourd’hui, avec l’utilisation des technologies numériques, les individus sont constamment connectés les uns avec les autres. C’est pour cette raison que la césure entre sphère privée et publique ne se fait plus désormais. Nous sommes constamment joignables, constamment alertés de la moindre notification qui pourrait nous concerner.  Et c’est en cela que le harcèlement prend une forme complètement nouvelle, car celui-ci peut ne jamais cesser.

Nous étudierons en trois parties, agrémentées d’extraits d’entretiens menés, ce phénomène qu’est le cyber-harcèlement, en voyant tout d’abord comment est traité ce problème de société par les technologies numériques et les différentes formes qu’il peut prendre. Nous verrons ensuite l’importance des “influenceurs” et le rôle qu’ils ont à jouer face à ces dérives. Et enfin nous étudierons les solutions proposées actuellement et la nécessité d’une éducation et d’une sensibilisation dès le plus jeune âge à ces pratiques.

Le harcèlement à travers les technologies numériques

Une psychologie de l’égoïsme à défaut de l’empathie

Internet, et ses diverses plateformes de discussions et de partage, est l’endroit privilégié pour exprimer son opinion. Réseaux sociaux, blogs, forums, avis de consommateurs,… tout est bon pour parler de soi, de son expérience, pour ajouter son commentaire et ainsi laisser une petite trace virtuelle de présence. Mais cet espace virtuel a pour caractéristique de devenir en quelque sorte un véritable défouloir public pouvant rapidement mener à des dérapages.

L’idée d’un espace virtuel, et donc distancié, est un élément fort de la représentation qu’ont les individus du web depuis sa création. Chacun sur internet devient un profil, un avatar et un pseudo, et toute notion “d’humain” peut être très rapidement oubliée. En effet, le web facilite la suppression de l’empathie qu’une relation humaine peut comporter. La réaction des autres internautes n’étant pas physiquement visible, rien n’empêche la surenchère et l’aggravation publique d’une forme de harcèlement quelle qu’elle soit. Et cette forme de violence est rarement vue comme telle par les individus qui la causent. Car tout ce qui est virtuel est un peu considéré comme un jeu. Puisque chacun se crée un profil, une sorte de seconde identité, il est donc possible pour tous de s’en moquer ou d’en jouer. Comme l’explique Jean-Charles Nayebi, psychologue et psychotérapeute, dans un article sur “Le cyber-harcèlement entre ados”[3], les enfants sont confrontés dès le plus jeune âge à une certaine forme de violence numérique, que ce soit à travers les jeux vidéos ou les réseaux sociaux, au fur et à mesure de leur évolution. Ainsi, pour eux, la valeur même d’un être humain est en quelque sorte bouleversée car les jeux et le virtuel sont devenus leur réalité. Et ce manque d’empathie de nos jeunes générations est à la base d’une nouvelle forme de violence numérique passant par des formes diverses. Le résultat est tel que, toujours selon ce même article, près d’un quart des moins de 18 ans dit avoir déjà été victime d’insultes ou de rumeurs sur les réseaux sociaux. C’est devenu usuel et normal de voir des règlements de compte se faire en public sur les réseaux sociaux numériques, de suivre des comptes ou des pages créés dans le but d’humilier un individu, un groupe d’individus ou une entité quelconque. Et chaque remarque ou message qui mène à un conflit prend une importance et une ampleur auparavant inatteignable. Les réseaux sociaux sont devenus des amplificateurs de données, donnant à voir à un maximum de personnes un contenu qui aurait pu passer inaperçu. Facebook est pour cela le réseau social le plus souvent exposé aux lynchages publics de la sorte. Car c’est sur ce réseau que vous avez vos “amis”, votre popularité auprès de cercles de relations définis. Et c’est en passant par ces réseaux-là que l’impact d’un message sera le plus fort. Car une réaction sur un post suffit à approuver. Par un “J’aime” ou une autre réaction en émoticône (mise à jour récente), chaque individu donne une nouvelle visibilité à un message, à une action. Et un harcèlement qui avait lieu entre deux personnes ou entre un petit groupe d’individus et une victime, prend aujourd’hui une ampleur plus grande puisque de nombreuses personnes qui réagiront formeront une masse de poids contre une victime isolée. Elle n’a alors plus à subir uniquement les attaques d’une personne, mais d’un groupe indénombrable et se sentant en force puisque comprenant beaucoup d’individus.

Les réseaux sociaux ont cela de dangereux qu’ils sont basés sur trois effets néfastes. L’effet de propagation tout d’abord, basé sur la rapidité avec laquelle les données vont être partagées et l’ampleur que ce phénomène va prendre en un temps relativement réduit. Il est très rare sur les réseaux sociaux qu’une information passe inaperçue. Avec cette “course aux likes” que nous connaissons aujourd’hui, surtout avec les jeunes générations (12-19 ans), on sait que le but est de se faire voir de ses relations, d’avoir une visibilité pour être reconnu faisant partie d’une véritable communauté. Ainsi, chaque message envoyé ou action réalisée est choisi, réfléchi et a pour but d’être partagé, commenté et d’obtenir des réactions (“likes”). Un message de harcèlement, même s’il est néfaste à la base, obtiendra donc forcément une visibilité puisque les relations concernées vont le voir, soit par le compte de la personne qui l’a publié, soit par un relai via ses propres relations. Et l’information se propage ainsi, de compte en compte, en quelques minutes, lui apportant une visibilité plus vaste que par n’importe quel autre support. L’effet de permanence ensuite, qui fait que ce qui est publié sur internet, reste sur internet et visible par tous. Car une fois l’information partagée et visible, elle ne va pas s’effacer en quelques heures ou même jours. Les interactions à répétition qu’elle va susciter feront que la publication remontera en permanence dans les fils d’actualités, enverra des notifications aux personnes qui ont un lien par le fait qu’ils l’aient partagé, commenté ou liké etc. Et même si le droit à l’oubli existe et que des données peuvent être effacées, la procédure pour une telle manœuvre reste assez complexe et longue et la mener à bien doit demander du courage à la personne/entité concernée par le harcèlement. Et enfin, l’effet d’aggravation, créé par le mouvement de groupe voire de foule. C’est l’idée que l’agressivité, dont résultent les harcèlements numériques, est exprimée de façon beaucoup plus claire, et parfois violente, sur les réseaux sociaux. Cela est dû au fait que l’écriture, sur un outil distancié, c’est-à-dire autre qu’en face de la personne, est un moyen de poser des mots et d’analyser leur sens pour avoir l’impact souhaité par exemple ou bien de réfléchir plus posément à une action dégradante à mener. De plus, l’aspect anonyme apporté par les réseaux numériques facilite la publication de tels propos ou la réalisation de telles actions. Le but étant, comme nous le disions précédemment, d’obtenir une grande visibilité et d’entraîner des réactions d’autres individus pour se sentir valorisé, il est donc nécessaire que le message ou l’action soit impactant. Et pour cela, chaque étape est réfléchie.

On le voit donc, sur les réseaux sociaux et autres plateformes numériques, le harcèlement est une forme de violence collective et publique, plus dévastatrice que jamais. On sait aujourd’hui l’importance qu’a pris la e-réputation, toutes générations confondues. Et au-delà de cette réputation numérique, c’est bien la psychologie de l’individu qui est visée. Car un harcèlement physique est une chose terrible à supporter. Mais un harcèlement numérique peut ne jamais avoir de fin et a une visibilité publique telle que des véritables masses de personnes peuvent se liguer en peu de temps contre une victime et ainsi créer un véritable lynchage par messages interposés et à base de commentaires violents, d’images privées ou encore de diffusion de données personnelles. Car, à la différence d’un harcèlement physique, le cyber-harcèlement peut prendre de très nombreuses formes. C’est ce que nous allons voir par la suite.

De nombreuses formes de harcèlement faisant d’un individu une victime numérique

Le cyber-harcèlement est une pratique d’agression visant à l’humiliation publique d’un ou plusieurs individus. Le site officiel[4] consacré au harcèlement à l’école le définit comme « un acte agressif, intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule ». La spécificité du cyber-harcèlement est qu’il prend place sur les divers canaux numériques à notre disposition, ce qui rend sa visibilité beaucoup plus grande et ajoute la présence de spectateurs, c’est-à-dire d’internautes qui soit réagissent en faveur du harcèlement, soit suivent la confrontation sans vraiment y participer activement. Mais l’effet de masse que cela créé face à une victime est bien évidemment néfaste et donne une ampleur plus importante à l’action ou au message publié.

Pour la CNIL[5]Tout ce qui est préjudiciable à l’identité numérique d’une personne est considéré comme du harcèlement virtuel”.

Et l’identité numérique est une notion très vaste qui englobe de nombreuses caractéristiques. Elle permet l’identification de l’individu en ligne et la mise en relation de celui-ci avec cet ensemble de communautés virtuelles qu’est Internet. Dès lors, altérer l’identité numérique d’une personne revient à nuire à sa personnalité et à son écosystème digital, que ce soit ses relations, ses activités, ses outils. Ainsi donc, de nombreuses techniques sont employées aujourd’hui par les harceleurs dans le but de nuire à leurs victimes via le web. On pense tout d’abord aux moqueries publiques sous forme de messages publiés sur les réseaux sociaux. Cela revient à rendre publique une information sur un individu ou groupe d’individus, dans le but d’attirer l’attention de ses relations sur le réseau social et d’entraîner des réactions. Cette méthode va généralement entraîner des discussions et des débats dont le résultat sera une surenchère de moqueries contre la victime. Ces moqueries peuvent également être plus violentes et prendre alors la forme d’injures qui seront envoyées publiquement ou de façon privée à la victime. Il est vrai que les individus sont plus facilement offusqués ou gênés de voir des injures publiées publiquement. Ils réagiront plus à une publication basée sur de la moquerie que sur de l’injure pour laquelle ils seraient plus tentés de calmer les choses ou de tempérer la conversation. Encore une fois, pour la plupart des internautes, l’idée que le virtuel est un jeu prend le dessus dans ce cas-là et des publications qui se moquent d’un individu sont vues comme une blague et donc ne pourront a priori pas blesser la personne concernée, alors qu’une publication injurieuse ramène d’un coup plus de sérieux et rend la publication réelle, ce qui va déranger les internautes. Dans ce cas-là, les injures sont plutôt envoyées en privé à la victime et ce sont des captures d’écran qui peuvent être publiées selon la réponse apportée par la victime.

Une autre technique de harcèlement passant cette fois par l’humiliation concerne la diffusion de fausses rumeurs sur les réseaux sociaux. L’effet de propagation dont nous parlions précédemment est à la base de ce principe. En effet, l’objectif ici est de publier une information en apparence vraie sur la victime, et de laisser celle-ci se propager sur le web grâce aux liens faibles que chaque individu entretient. Le réseau de personnes ayant accès à l’information devient alors immense et l’information ne peut donc pas être prouvée fausse puisque tout le monde l’aura vue. En quelques instants, une réputation qu’elle soit numérique ou non peut être détruite et cela a des impacts d’une très grande importance sur la victime. En lien avec la publication de fausses informations, on trouve aussi la création de faux comptes sur les réseaux sociaux, au nom de la victime concernée ou avec ses propres photographies. Avec ce système, les harceleurs peuvent alors prendre numériquement la place d’une personne et publier en son nom tout le contenu qu’ils veulent. L’usurpation d’une identité numérique peut avoir des conséquences très lourdes puisque supprimer un compte n’est pas si simple et la récupération des données publiées peut être très aisée par les personnes liées à ce faux compte. Une information en ligne peut donc être disponible pendant un temps indéterminé et ressortir par d’autres biais.

L’une des autres techniques est le piratage des comptes de la victime. On passe alors à un niveau supérieur puisque c’est ici le compte officiel de la personne, que ce soit sur les réseaux sociaux mais aussi sur les plateformes de blogs, sur les réseaux professionnels etc, qui est attaqué et pris pour cible. Les informations frauduleuses qui peuvent y être publiées sont donc vues par les véritables cercles relationnels de la personne en question et cela affectera d’autant plus la personne puisque c’est son intimité qui est rendue publique. Le harceleur touche ici à la vie privée numérique de la victime jusqu’au point de prendre sa place.

Nous avons donc pu voir que de nombreuses formes de harcèlement sont mises en place et utilisées par les personnes les plus malveillantes, toujours dans le but de nuire à un individu. Le numérique a la spécificité de créer, au-delà d’un harcèlement, un véritable lynchage public où chacun peut ajouter un avis, un commentaire et contre lequel une victime seule ne saura faire face. Et certes, les technologies numériques en elles-mêmes induisent un traitement particulier des problèmes de société, il n’empêche que d’autres acteurs ont une certaine influence sur le traitement de ce sujet qu’est le cyber-harcèlement. Quel est alors l’impact de ces “influenceurs” sur le grand public, c’est ce que nous allons voir dans une deuxième partie.

Si la nature même des nouvelles technologies numériques et ce qu’elle implique à propos de notre rapport à la réalité ont amené à une nouvelle forme de harcèlement, en ligne cette fois, il peut être intéressant de se pencher sur les possibles critères externes et sociétaux qui participent à ce phénomène.

Les super-influenceurs

Les 12-19 ans, collégiens et lycéens, sont des cibles faciles pour le cyber-harcèlement. Comme nous l’avons vu plus tôt, le fait qu’ils soient “nés” avec les différentes technologies numériques et qu’ils les maîtrisent parfaitement (du moins en apparence) brouillent les notions de réalité et l’empathie qu’ils peuvent avoir pour des camarades, alors rapportés au rang d’objet, de pantins, de marionnettes.

Si les relations personnelles jouent un grand rôle au niveau de la viralité des contenus et de leur influence, comme on l’a vu plus tôt avec les liens faibles ou forts, il existe également quelques individus, comptes, à la notoriété telle qu’ils vont attirer les partenariats, liens, partages. Dans la société sur-médiatisée dans laquelle nous vivons, ces personnes ont également beaucoup d’influence auprès de leur public.

Les jeunes ont tendance à se créer des élites et à recopier leurs comportements, il est donc du devoir de ces “stars” et grands influenceurs de prendre en compte leur audience pour adapter leur comportement.

On verra que ce n’est pas le cas de tous, et que leur comportement peut avoir une influence directe sur la propagation et la banalisation du harcèlement, qu’ils soient star du petit écran ou Youtubeur-se au sommet.

L’influence des médias – le “cas Hanouna”

Lorsque l’on parle d’influence des médias envers les cibles plus jeunes, on pense notamment à la télévision dont les programmes de plus en plus addictifs sont de véritables références. Et en termes de média connu de tous, l’émission Touche pas à mon poste représente en tout point un influenceur. Cette émission de divertissement, présentée par Cyril Hanouna et une bande de chroniqueurs, a pour objectif de présenter et critiquer, positivement ou négativement, les programmes diffusés sur la télévision française et étrangère. Alliant à cela des jeux, des séquences de confessions des invités ou chroniqueurs, pour créer un véritable divertissement. Elle est diffusée en direct, quotidiennement, et regroupe chaque soir des millions de téléspectateurs.

Mais l’influence qu’a cette émission n’est pas toujours positive et elle est aujourd’hui extrêmement critiquée pour la raison qu’elle promeut des comportements non adéquats. En effet, le présentateur de cette émission prône la liberté d’expression et le rire, mais en dépit de la retenue que certaines situations requièrent. On le retrouve donc à se moquer de certaines personnes en fonction de leur apparence, de leur sexualité ou même de leur handicap. Et le fait que son émission soit diffusée en direct sur les chaînes de télévision rend son influence encore plus forte car il n’y a aucun filtre entre ce qui est dit et ce que le public entend. Les jeunes qui sont donc devant leur écran (une majorité de la cible du programme) perçoivent directement ce qui est dit par ce présentateur connu qui a une place importante à leurs yeux dans la société. Et si lui le dit, qu’est ce qui les empêche de faire de même ? Si personne n’empêche Cyril Hanouna de se moquer des autres pour leur différence, comment les jeunes qui suivent quotidiennement ses émissions pourraient-ils comprendre qu’il existe une limite de décence humaine à respecter ?

Comme nous l’avons vu précédemment, les réseaux sociaux ont pour caractéristique de faciliter l’oubli de l’humain derrière son écran. Et si l’on ajoute cette distanciation à la permission offerte par ces mauvais influenceurs, aucune limite ne peut être faite par des esprits jeunes et en apprentissage intellectuel. Le rôle de tels médias est de faire passer des valeurs d’humanité et de bienveillance à un public qui apprend et les imite au quotidien. Ce genre de médias controversés pose alors la question de la mauvaise influence à grande échelle. Et des personnes concernées par cette interrogation au quotidien tentent bien de convaincre ses influenceurs de leur comportement néfaste. C’est par exemple le cas de Grég Allaeys, comédien engagé dans la prévention contre le harcèlement à l’école. Il a rédigé une lettre ouverte sur Facebook[6] pour dénoncer les pratiques du présentateur de l’émission où il y explique les conséquences qu’un tel programme et comportement a au quotidien dans les collèges français.

“L’un des sujets récurrents sur lequel nous sommes appelés à intervenir, c’est celui du harcèlement. Ces humiliations répétées, cette petite torture psychologique, cette stigmatisation des individus perçus comme ‘faibles’, ou pour une couleur de peau, de cheveux, une corpulence, une origine ou une confession. Cette violence verbale ou physique qui, au mieux, peut foutre en l’air une scolarité et, au pire, pousser un scolaire à se foutre en l’air. Tu commences à voir où je veux en venir, petit roi du PAF [paysage audiovisuel français, ndlr]. C’est que tu es très regardé par cette population influençable de collégiens. […] NON, humilier quelqu’un, même ‘pour rire’, ce n’est pas normal.”

Mais malgré ce constat, malgré les critiques quotidiennes publiées contre ce programme, l’animateur ne semble pas comprendre la mauvaise influence qu’à son comportement. Prendre les choses à la rigolade et leur supprimer toute importance est son mot d’ordre, mais malheureusement tout le monde n’est pas capable de faire la différence entre l’insouciance des programmes télévisés et le comportement à adopter dans la vie réelle. Heureusement, certains influenceurs prennent ce sujet plus au sérieux.

Enjoy Phoenix, la Youtubeuse engagée

Moi quand j’en ai parlé c’était plutôt comme une expérience personnelle en fait, en sachant pas forcément si les gens allaient adhérer, comprendre… Je me suis dit que ça pouvait paraître “faible” de parler du harcèlement et du fait qu’on m’ait harcelée. (…) Y a beaucoup de jeunes filles et jeunes garçons qui se sont reconnus dans mon témoignage, et je trouve ça super.[7]

Marie Lopez s’est mobilisée aux côtés du gouvernement dès la première journée de mobilisation contre le harcèlement à l’école, le 5 novembre 2015. Mais elle est surtout connue, dans la tranche d’âge qui nous préoccupe, par son travail sur le web : en effet, elle est la célèbre Enjoy Phoenix, dont la chaine principale Youtube compte 2 705 538 abonné-e-s et la chaine secondaire 1 283 872[8].

En 2015, Enjoy Phoenix publie une vidéo qui va faire prendre un tour complètement différent à sa vie sur le net : “Le harcèlement au Lycée | Mon histoire et mes solutions !” La jeune femme y expose alors son histoire et comment est-ce qu’elle s’est sortie de la situation étouffante dans laquelle elle se trouvait. La vidéo a comptabilisé 3 110 952 vues, 121 675 “pouces bleus” et 24 710 commentaires.

source : vignette Youtube

Depuis, elle travaille avec le gouvernement à la sensibilisation au harcèlement, et a publié plusieurs vidéos sur sa chaîne principale qui en parlent et regroupent plusieurs millions de vues. Mais surtout, elle a permis à des jeunes de parler et de s’exprimer sur leur situation propre. Dans les commentaires de ses vidéos, on trouve des témoignages, et beaucoup d’entraide, aidés très certainement par l’anonymat que confère Youtube.

Que penser de tout ça ?

De manière globale, on fait souvent appel à des personnalités célèbres, connues du public que l’on veut toucher, lorsque l’on veut parler d’une cause importante. Les Restos du Coeur, le Téléthon, les associations, les festivals, les “Challenges” en ligne… tous ont besoin d’un appui médiatique pour faire connaître leur combat.

Avec l’avènement d’Internet, les personnalités célèbres ne sont plus forcément des chanteurs, acteurs, artistes, qui semblent loin du public. Elles peuvent désormais être des jeunes femmes de vingt ans qui font des vidéos dans leur chambre et partagent leur avis et leur vie avec des millions d’autres jeunes femmes et jeunes hommes. Elles peuvent être des personnalités de la télévision, regardées en replay à volonté sur Internet et dont les frasques font le tour de Youtube et des journaux en ligne. Ces personnes ne sont peut-être pas forcément conscientes de l’influence qu’elles peuvent avoir sur les plus jeunes, mais les faits sont là : lors de leurs déplacements, les Enjoy Phoenix ou Hanouna font se déplacer des centaines de jeunes.

Dès lors, il leur incombe de prendre en compte ce fait et de faire attention à ce qu’ils renvoient comme attitude, qu’elle soit positive ou négative.

Comme le dit Simon “Par exemple, les « youtubeurs » très populaires, peuvent facilement créer du « buzz » (positif ou négatif) en mentionnant d’autres « youtubeurs ». S’ils se moquent, une foule d’internautes ira se moquer à leur tour (parfois très violemment).

Prendre la parole sur le harcèlement a permis à Enjoy Phoenix de laisser des dizaines de jeunes s’exprimer via son média, Youtube, mais également de passer de “l’autre côté du miroir” en participant à des événements gouvernementaux visant à faire connaître ce problème de société. De son côté, Cyril Hanouna promeut chaque soir, par son comportement, une distanciation de l’autre et une objectivation de ses collègues et invités.

Ces comportements ont des répercussions directes sur les comportements des jeunes, visibles sur les commentaires de plateformes numériques ou encore dans les cours de récré.

Des solutions ?

Si le harcèlement en ligne a été rendu possible par l’avènement du tout numérique et la disparition progressive des barrières entre « vie réelle » et « vie virtuelle », le harcèlement lui-même, cyber comme scolaire, a mis du temps à être traité avec sérieux par les chercheurs et le public. Comme le dit Enjoy Phoenix, “ À mon époque, on ne parlait pas de harcèlement. On disait qu’on se faisait “embêter”. Et pourtant, c’était il y a à peine cinq ans !” (Propos tenus lors de son interview en 2016).

Quelques exemples de campagnes de sensibilisation

Il a fallu attendre 2015 pour que le sujet soit traité par le gouvernement, qui a alors lancé une campagne de sensibilisation au harcèlement scolaire et la première Journée nationale « Non au harcèlement », jeudi 5 novembre. La campagne, destinée en premier lieu aux enfants d’école primaire et aux témoins de ces harcèlements, s’est appuyée sur une Page Facebook (de 72 000 abonnés en 2015[9]), mais également sur des clips vidéos, diffusés sur les plateformes de lecture vidéo et à la télévision ; sur un nouveau site Internet comprenant des ressources centralisées pour lutter contre le phénomène[10].

Les ressources mises en place pour parler du harcèlement sont résolument numériques : ainsi, l’Education Nationale met à disposition des photos de profil, des bannières, des bannières animées pour blog, un logo à intégrer dans ses pages web…

Source : Education nationale

La cible étant clairement établie comme étant les plus jeunes, car « C’est en effet dès le plus jeune âge qu’apparaissent les premières situations de harcèlement. », comme l’a précisé Najat Vallaud-Belkacem[11], Ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de nombreuses vidéos et éléments plus interactifs étaient disponibles, comme une mini-série animée sur des problématiques propres au harcèlement et à but éducatif (Vinz et Lou), par exemple.

Les spots télévisés (qui se retrouvent sur le web également) jouent un grand rôle dans la sensibilisation, bien entendu. Alors que celui de 2015 portait sur le harcèlement scolaire dans les locaux de l’école, celui de 2016, intitulé « Liker, c’est déjà harceler », porte plus sur le harcèlement en ligne, ce qui montre une volonté de prise en compte du numérique dans la campagne-même de l’Éducation nationale.

Néanmoins, la question de l’efficacité de ces spots télévisés se pose. Comme nous le dit Léa “Est-ce qu’un enfant qui harcèle changera de comportement après l’avoir regardé ? Je ne pense pas. Il faut sensibiliser oui, mais surtout les adultes (enseignants, parents etc). Un enfant développe son empathie en grandissant, ce n’est pas avec une pub qu’on les éduquera mais avec une travail de fond.”. Il est vrai que les campagnes de communication télévisées peuvent ne pas toujours avoir un véritable impact sur le comportement des individus qui harcèlent. Ils restent alors des moyens de sensibilisation plus que de mobilisation.

Capture d’écran de la campagne de sensibilisation 2016

Mais le gouvernement n’est pas le seul à vouloir parler du problème. Pour “prouver” la réalité du phénomène, de plus en plus de particuliers et d’instances plus officielles proposent aux harcelés de témoigner.

C’est le cas de FranceTV, sur son site http://www.francetv.fr/temoignages/harcelement-scolaire/ , qui recueille des témoignages d’adolescents, d’enfants, de parents, mais aussi de personnel scolaire qui ont dû faire face (ou le font toujours) au harcèlement.

Cet espace est une plateforme où les personnes peuvent témoigner, en laissant un prénom, un pseudo, ou en étant anonymes : elles sont prévenues que témoigner sur le site ne se rapproche pas de la délation (sentiment que beaucoup de jeunes peuvent avoir lorsqu’ils tentent de parler de leur situation de harcèlement, selon les témoignages) mais simplement un moyen de s’exprimer.

Le TumblR “Losers et alors”, lancé le 29 septembre 2014 par “Le Dessinateur Fou”, fait état de plus de quatre-cent témoignages. Il est depuis peu devenu une plateforme dédiée à la sensibilisation.

Ces initiatives sont souvent portées par les personnes qui ont vécu le harcèlement, de près ou de loin, comme Le Dessinateur Fou, qui, lors d’une interview sur le projet “Losers et alors”, a expliqué :

 J’avais moi-même subi des violences, et j’aimais beaucoup les initiatives comme le Projet Crocodile ou Paie Ta Schnek, mais je ne trouvais pas d’équivalent pour le harcèlement scolaire. En créant le site, l’idée était de permettre aux gens de s’exprimer tout en étant protégés par l’anonymat (s’ils le souhaitent, puisqu’il est aussi possible de donner son prénom). ”[12]

Une façon de mettre en lumière quelque chose qui n’était, à l’époque, pas très connue, et qui a permis à des centaines de personnes de se sentir, peut-être, un peu mieux pour un temps.

Page d’accueil du site www.loseresetalors.fr

Les solutions numériques

Les solutions liées au numérique proposées sont multiples.

Déjà, bien entendu, il y a les témoignages. Une ligne d’appel spécialement dédiée au cyber-harcèlement est ouverte, le 0800 200 000, et les jeunes peuvent également envoyer leur témoignage à l’une des plateformes dont nous avons parlé plus tôt, sur des groupes Facebook ou encore sur des forums.
On peut également agir directement sur les contenus porteurs de harcèlement, en les signalant. Facebook et de nombreux autres réseaux sociaux ont désormais intégré ce motif de signalement dans leurs formulaires. Ils permettent également d’empêcher le harceleur ou la harceleuse de contacter le harcelé en le « bloquant ».

source : Facebook.com

source : Facebook.com

source : Facebook.com

Si les formulaires de signalement sont trop complexes à trouver, on peut se rendre sur la plateforme Pharos : http://www.internet-signalement.gouv.fr/  ou Point de Contact http://www.pointdecontact.net  qui ont été créés dans ce but.

Les personnes harcelées peuvent également faire appel à une agence de nettoyage sur le web, qui mettra en place une vérification rigoureuse de leur e-réputation et fera les démarches auprès des sites et moteurs de recherche pour faire disparaître toute publication à caractère nocif et tout faux compte.

Pour les plus jeunes, des cours de sensibilisation et d’utilisation des réseaux sociaux sont dispensés aux « petites classes », aux alentours du CM1 et du CM2, lorsque les professeurs sont formés (ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas), permettant aux enfants d’appréhender ces outils de manière plus positive. Comme l’explique Simon “Certains jeunes n’ont pas la maturité ni le recul nécessaire pour utiliser ce genre d’outils. Les interdire ne semble pas être la solution dans nos société hyper-connectées. Un apprentissage poussé de ces outils pour comprendre les risques et une modération très importante quand ils sont jeunes me semble être une piste pour éviter les problèmes.

Conclusion

Comme nous l’avons dit dans notre introduction, 100% des 12-39 ans sont des internautes.

Le harcèlement scolaire, quant à lui, touche 12% d’élèves en primaire, 10% au collège, et 3.4% d’élèves au lycée[13]. Ce harcèlement, qui prenait place encore récemment uniquement dans les lieux de vie scolaire, glisse peu à peu sur les réseaux sociaux et Internet. Etant donné l’utilisation quotidienne et usuelle qu’ont les jeunes des nouvelles technologies numériques, il n’est pas surprenant que leurs relations ne s’arrêtent désormais plus devant la grille du collège mais continue à la maison, sur la Toile.

Les enfants et jeunes ne sont pas devenus “plus méchants” ou “plus maltraitants” avec l’avènement des technologies numériques. Lorsqu’on lit les témoignages, on peut se rendre compte que bien avant Internet, le harcèlement scolaire existait déjà et était aussi violent. Les raisons de ce harcèlement sont sociales, mais elles sont aussi personnelles, propres à chaque individu, et pas du tout induites par Internet.

Ce que change Internet dans notre rapport au harcèlement, c’est sa capacité à rendre les choses virales. C’est la possibilité au harceleur de se trouver un public plus large qu’une cours d’école, et ainsi lui donner un pouvoir qu’il n’avait pas auparavant. C’est la faculté des réseaux sociaux à proposer sans cesse de liker, partager, commenter, tant et tant qu’au final, les enfants ne savent plus ce qu’ils valident en cliquant sur leur souris.

Ces caractéristiques propres au web fonctionnent pourtant dans les deux sens : si elles donnent plus “d’armes” aux harceleurs, elles en fournissent également à ceux qui font un travail d’éducation et de sensibilisation : les hashtag, tumblR, vidéos, articles, pages Facebook, qui contribuent à faire connaître le phénomène le mettent d’autant plus en danger. Les personnes comme Enjoy Phoenix ou Le Dessinateur Fou pour ne citer qu’eux, qui participent à la diffusion de messages de prévention et de sensibilisation et touchent des millions de personnes à travers Internet, ont un impact qualitatif sur la lutte contre le cyberharcèlement.

Bien sûr, le cyber harcèlement ne disparaîtra pas uniquement parce que l’on poste des témoignages sur un site web ou parce qu’une Youtubeuse en parle dans cinq de ses vidéos : il faut éduquer les enfants, leur faire prendre conscience de la réalité de leurs actes et de leurs conséquences, même virtuelles. Selon Hélène Romano[14], docteur en psychopathologie – experte auprès des tribunaux, 80% des enfants harceleurs sont capables, lorsqu’ils sont sensibilisés au problème, de se rendre compte de leurs actes et de ressentir de la culpabilité – suffisamment pour ne plus recommencer.

Toujours selon elle, “l’École est un lieu de résonance. [Le harcèlement] peut être un problème éducatif, ça ne veut pas dit qu’on ne peut rien faire.

Et en effet, si l’Éducation nationale se donne les moyens nécessaires et forme son personnel à mieux repérer, à mieux contrer le harcèlement, mais lui donne également suffisamment de champs d’action pour être efficace, alors peut-être que le harcèlement scolaire battra en retraite. Et si le harcèlement à l’école disparaît, le cyber harcèlement le fera aussi.

Nous avons vu, dans cet article non exhaustif, le cas du cyber harcèlement. Internet, reflétant plus ou moins notre société, est une sorte de caisse de résonance pour la révélation et la lutte de problèmes de société.

Ainsi, le sexisme, le racisme, la violence sur les enfants, et tant d’autres sujets, peuvent s’y retrouver dénoncés de multiples manières – et trouver un public qui y sera alors sensibilisé.

Internet est une grande plateforme où se mêlent toutes formes de pensées, et la Toile est de plus en plus utilisée pour faire passer des idées et pour lutter contre des éléments de la société. Comme les groupes secrets d’antan, elle fourmille de petites niches, petits TumblR, petits comptes Youtube, petites Pages Facebook, petits magazines qui, peu à peu, sensibilisent leur public à ce qui les émeut, ce qui les attriste, ce que les atterre.

Peut-être alors qu’Internet a pris la place d’un cinquième pouvoir, un pouvoir de dénonciation que les journaux publics n’ont plus[15], un pouvoir de média de lutte ?



[1] Le baromètre du Numérique 2016 (chiffres au 30 juin 2016)

[2] Théorie du lien faible, Mark Granovetter, 1973

[3] “Le cyber-harcèlement entre ados”, Anne-Laure Vaineau – Psychologies.com

[4] http://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/

[5] Commission nationale de l’informatique et des libertés https://www.cnil.fr/

[6] Lettre ouverte à Cyril Hanouna du comédien Grég Allaeys. https://www.facebook.com/gregallaeys/posts/10155614210988521

[7] interview du onze mai 2016 : http://www.madmoizelle.com/enjoy-phoenix-interview-harcelement-scolaire-555113

[8] Chiffres du 30 janvier 2017

[9] Chiffres tirés du Dossier de Presse 2015 « Non au harcèlement »

[10] education.gouv.fr/nonauharcelement

[11] Dans le Dossier de Presse 2015 « Non au harcèlement »

[12] http://www.madmoizelle.com/tumblr-harcelement-scolaire-565411

[13] Chiffres de 2015, Dossier de Presse de l’Education nationale sur le Journée nationale “Non au harcèlement”

[14] http://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/ressources/experts/idee-recue-les-auteurs-ont-un-probleme-psychologique-ou-une-mauvaise-education-helene-romano/

[15] Ignacio Ramonet, L’Explosion du journalisme. Des médias de masse à la masse de médias, Éditions Galilée, Paris, 2011


Annexes


Sources

 

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