LES MONDES NUMERIQUES

Blog des Masters en Sciences Sociales de l'Université Gustave Eiffel

Comment le support web impacte l’écriture ?

KAROGLU Mélanie

Un très grand merci à Claire1663, Mandala, Nanola et Archimède, toutes les quatre auteurs de fanfictions, d’avoir accepté de répondre à mes questions, et de m’avoir aidée à illustrer mes propos avec leurs informations, leur savoir, leurs expériences d’auteurs et de lectrices.
Je remercie chaleureusement à Claire1663 pour son implication et son aide.
Je remercie tout aussi chaleureusement Mandala, Nanola, Archimède pour leur bonne humeur communicative et les débats passionnés que nous avons pu avoir au cours de l’interview sur l’écriture, la fanfiction, le web et Harry Potter.

 

Fanficslideshare.net

Connaissez-vous Fifty Shades of Grey ? La réponse semble évidente tant cette saga a rencontré le succès. Mais en connaissez-vous ses origines ? Peut-être moins. Car en effet, les origines de ce phénomène sont particulières. A la base, l’auteur E.L. James avait écrit son histoire en reprenant des personnages bien connus : Bella Swan et Edward Cullen, les héros de Twilight. Oui, Fifty Shades of Grey est, au départ, ce qu’on appelle une fanfiction : une fiction écrite sur un univers préexistant. Il s’agit de reprendre des personnages, des lieux et/ou des scénarios qui existent déjà, et de les utiliser pour rédiger ses propres histoires. Cela peut consister en une suite, une réécriture d’un tome, un univers alternatif … Dans le cas de Fifty Shades of Grey, les personnages de Bella et Edward évoluaient dans un univers alternatif. Pour pouvoir se faire éditer, l’auteur a changé leurs noms puisqu’ils ne lui appartenaient pas.

L’exemple de Fifty Shades of Grey n’est pas pris au hasard. Il révèle l’importance d’un phénomène qui a pris de l’ampleur : les fanfictions sur le web. Il existe bon nombre de sites Internet où il est possible pour qui souhaite prendre sa plume de poster son histoire, en particulier si celle-ci est une fanfiction. Des communautés de lecteurs et d’auteurs se forment, pour partager des récits sur un univers apprécié de tous. Il n’est pas bien difficile de trouver ces communautés, il suffit de taper fanfiction dans la barre de recherche. L’un des sites les plus connus et visités est sans aucun doute Fanfiction.net. Le nombre de fanfictions présentes sur cette plateforme est ahurissant. Tous ces auteurs rédigent par passion, tous ces lecteurs les suivent par passion. Car toute l’idée est là : retrouver l’univers qu’ils ont tant apprécié, qui les a tant fait rêver.

Fanfictions : L’œuvre de passionnés

Beaucoup prennent plaisir à écrire, à raconter des histoires. La fanfiction présente un avantage certain : l’univers existe déjà. Seul son développement et le scénario sont différents, selon l’imagination de chacun.

Le phénomène de la fanfiction peut s’expliquer de plusieurs manières. Il faut rappeler que dans fanfiction, il y a fan. C’est donc là le désir d’un fan d’écrire sur un univers en particulier ; parce qu’il souhaite corriger des éléments du scénario qu’il juge incohérent. Ou parce qu’il cherche à prolonger l’existence de son univers tant aimé mais qui a hélas trouvé son point final par son auteur originel. Il peut également vouloir créer des personnages à lui et les insérer dans l’histoire (c’est ce qu’on appelle OC), ou même encore créer un personnage à son effigie et le faire vivre des aventures au côté des personnages originels. Pour cette dernière catégorie, on appelle ça du self-insert.

L’écriture de fanfiction est donc marquée par la passion. Passion de l’écriture peut-être, mais passion certaine pour la série, le film, le roman, le manga, le jeu vidéo, ou même encore une célébrité ou un groupe musical !

Henry Jenkins, ancien directeur de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT), est un pionnier dans les études sur les fans et de ce fait les fanfictions; il prend pour cible les fanzines sur Star Trek comme point de départ. Car à l’origine les fanzines étaient des magazines rédigées par des fans où ils écrivaient des histoire de sciences-fiction et distribuées à l’occasion de conventions de sciences-fiction. Ses études font apparaître que les fanfictions sont en réalité le résultat des attentes des fans par rapport à l’œuvre originale. Dans la continuation de cette idée, nous pouvons citer Martial Martin (IUT de Troyes), qui explique dans « Les fanfictions sur Internet », présent dans la revue Métamorphoses que « La fascination du fan va de pair avec la frustration vis-à-vis des choix des producteurs ».

Fanfiction : Quelques notions

La fanfiction présente des vertus : elle permet l’expression de soi, d’écrire assidûment et la communication avec autrui. Tout au long de cet article, nous allons comprendre l’impact du support web sur l’écriture mais aussi sur les relations avec autrui.

Écrire est une manière de se révéler, de révéler son imaginaire et sa façon d’écrire. Il y a donc là une dimension très personnelle à l’écriture. C’est très particulier avec la fanfiction, parce que l’on reprend un univers déjà créé, donc l’imaginaire d’une autre personne, que l’on s’approprie et que l’on fait sien. C’est aussi là une autre façon d’exprimer son imagination : en reprenant une histoire déjà écrite et en la modifiant, on la modifie selon nos idées.

On ne peut pas parler de fanfictions sans parler d’Harry Potter. La saga Harry Potter a rencontré le succès phénoménal qu’on lui connaît. Cette aventure (livres, films) a duré dix ans (1997-2007). Dix ans durant lesquels les fans ont attendu, imaginé, la suite. Entre chaque tome, des hypothèses, des idées ont foisonné. Et toutes ces idées ont donné naissance à pléthore de fanfictions sur Harry Potter. Prenez le site fanfiction.net par exemple. C’est l’un des sites de fanfictions les plus connus et plus utilisés sur Internet. Si vous regardez le fandom Harry Potter, vous verrez que c’est celui qui réunit le plus d’histoires. Viennent ensuite Naruto (manga extrêmement populaire) et Twilight.

Mais parler de fanfictions nécessite un petit lexique car ce monde a un langage bien à lui. On ne parle de l’univers d’Harry potter, ou de l’univers de Twilight, mais plutôt du « fandom Harry Potter », du « fandom Twilight ».
Le mot « fandom » exprime donc l’univers, l’œuvre de base.

Vient ensuite le mot « rating ». Il exprime la catégorie de personnes autorisées à lire la fiction. C’est un avertissement, comme on peut en voir pour les séries ou films : Interdit aux moins de 10 ans, 12 ans etc. Il catégorise les fanfictions et permet donc aux auteurs de savoir à quel lectorat ils s’adressent.

Rating K Rating K+ Rating T Rating K-T Rating M Rating R
Aucun contenu susceptible de
heurter le lecteur
Action et violence modérée
(Teenager)
Mélange entre les rating K et T Contenu Mature, violence sans modération, contenu sexuel non explicite Un cran au-dessus du Rating M, Contenu pour adultes
A partir de 6 ans A partir de 9 ans Pour les plus de 13 ans Interdit aux moins de 16 ans

Ici, on distingue les ratings K, K+, T, K-T, M et R. Bien qu’on peut les associer à l’âge, ils révèlent plutôt le contenu de la fanfiction : si ce contenu est « soft », donc accessible à tout le monde, ou alors violent, très violent, voire même à caractère sexuel.

Les ratings K et K+ disent de la fanfiction qu’elle ne présente aucun contenu susceptible de heurter le lecteur.(A partir de 6 ans pour le premier, et 9 ans pour le second).

Le rating T explique que l’histoire présente du contenu marqué par l’action et de la violence modérée, et des scènes moins enfantines que celles avec les ratings K et K+. Le rating T correspond à teenager. Il peut également y avoir quelques insultes mais limitées, et s’il y a des scènes de sexe, elles sont simplement suggérées. (Pour les plus de 13 ans).

Le rating K-T est un mélange entre les deux.

Le rating M correspond à un contenu mature : violence sans modération, contenu sexuel possible mais non explicite etc… Sur certains sites comme fanfiction.net, les moins de 16 ans ne sont pas autorisées à lire les fictions de ce rating.

Quant au rating R, il correspond à un cran encore au-dessus du rating M. C’est un contenu pour adultes. Il n’y a pas forcément de scène de sexe, mais si elles sont présentes, elles sont explicites. Quant aux scènes, elles peuvent être extrêmement violentes, et aucune limite pour les insultes et grossièretés.

On peut trouver parfois le rating MA, qui équivaut au rating R. Globalement, ces ratings sont les mêmes pour tout le monde.

Une fiction est également caractérisée par son genre (Romance, Action, Suspens, Famille, Drame, Tragédie, etc), son statut (en cours, terminé), sa longueur (plus de 1000 mots, plus de 5000 mots, plus de 10000 mots, etc), et les personnages principaux (ceux de l’univers existant qui sont utilisés particulièrement. On peut également indiquer s’il y a des nouveaux personnages qu’on appelle OC : other caracter).

Fanfiction : Poster et Commenter

Ecrire une fanfiction revient à la poster. Et cette façon permet d’ajouter une dimension feuilletonnante. En effet, l’on poste chapitre par chapitre. Certains auteurs donnent même rendez-vous à leurs lecteurs chaque semaine, chaque mois, pour la suite de leur fanfiction. Sébastien François, agrégé de sciences économiques et sociales et doctorant à TELECOM ParisTech, explique que les fanfictions et les séries télévisées reproduisent un schéma identique : puisqu’il s’agit respectivement de chapitres et d’épisodes, elles ont toutes deux ce caractère feuilletonnant.

« Les individus […] continuent de vivre une expérience audiovisuelle qui ne s’arrête pas au moment du « visionnage » et qui garde une dimension collective : cela passe par des formes de participation qui s’étendent maintenant à Internet et dont les fanfictions font partie. » (source)

Il explique également que l’arrivée d’Internet n’est pas le point de départ des fanfictions. Car nous pouvons nous poser la question suivante : Le web est-il le déclencheur du développement des fanfictions, ou constitue-t-il en réalité un support différent pour un phénomène déjà existant ? Comme expliqué plus haut, les fanzines ont amorcé l’écriture des fans.

« [Internet] a plutôt agi comme un catalyseur. Les sites hébergeurs […] tel fanfiction.net (le plus ancien et le plus connu), puis les blogs ont remplacé les fanzines, ces publications amateurs que les fans ne pouvaient s’échanger qu’épisodiquement, comme lors des conventions autour de leur série favorite. »(source)

Le web représente de ce fait un support adapté à tous ces passionnés. C’est pour cela qu’il est tant prisé. L’anonymat rendu possible par le pseudonyme et l’avatar virtuel peut encourager les auteurs timides. A l’abri derrière son écran, l’on est libre d’écrire ce que l’on souhaite. C’est aussi une manière de s’exercer à l’écriture, et à mettre des mots sur son imaginaire.
Tout comme on est libre de suivre plusieurs fanfictions, d’en lire autant qu’on l’on souhaite, de commenter. En effet, on peut poster des « reviews » (c’est-à-dire des commentaires) pour chaque chapitre, et ce autant de fois que l’on souhaite ! On peut mettre en favori la fiction, et ainsi être prévenu par mail chaque fois qu’un nouveau chapitre est posté ; mais l’on peut aussi mettre l’auteur en favori, permettant ainsi d’être prévenu par mail également chaque fois que l’auteur poste une nouvelle fiction.
L’avantage du web est celui d’avoir des statistiques : on peut voir combien de fois un chapitre a été lu grâce au nombre de clics dessus, des graphiques montrent l’évolution du nombre de commentaires.

Fanfictions : Une communauté

Ces plateformes facilitent la lecture puisque tout est accessible en quelques clics. Et, malgré l’anonymat, des liens très forts se nouent entre les auteurs et les lecteurs. Comme mentionné plus tôt, l’aspect feuilletonnant instaure une habitude auprès des auteurs et des lecteurs.
Ces derniers savent que tel jour, telle heure, ils vont pouvoir retrouver leur univers préféré et lire un chapitre de plus, découvrir davantage du scénario de leur fanfiction apprécié.
Et, quand bien même l’auteur ne respecterait pas ses délais, cela suscite de l’attente chez ses lecteurs. Certaines fictions mettent des mois avant d’atteindre le mot « Fin », ce qui permet de créer un lien profond et fort entre l’auteur et ses lecteurs. Des liens existent également entre les auteurs, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, certains auteurs décident d’écrire une fanfiction à plusieurs. Ensuite, dans certains univers, que l’on appelle fandom (ex : le fandom Harry Potter), certains écrivains sont très connus, parce que leurs fanfictions cumulent beaucoup de vues et de commentaires (l’un utilise le mot review pour dire « commentaire »). Enfin, des forums existent, au sein même du site où les fictions sont postées. Le forum est alors un lieu d’échange, entre auteurs et auteurs, auteurs et lecteurs, et lecteurs et lecteurs : on peut retrouver une fiction dont on a oublié le titre, parler d’une histoire qu’on a beaucoup aimé, etc.
De plus, l’idée d’une communauté se vérifie également par le fait que, selon les saisons ou les jours de fête, des thèmes qui y correspondent sont mis en place, permettant à quiconque d’y participer.

Il y aurait donc une idée de communauté très forte dans le monde de la fanfiction. Mais est-ce le cas pour tout le monde ?
J’ai pris contact avec quatre auteurs sur fanfiction.net. D’un côté, nous avons Mandala, Nanola et Archimède, qui sont un trio d’auteurs qui se connaissent depuis 3 à 4 ans, s’entraident, lisent les fanfictions des unes et des autres, et ont noué de forts liens d’amitié.

Mandala  a 41 ans, travaille et est mariée. Très grande lectrice, elle est rapidement tombée sur le site de fanfiction.net, et a fini par se lancer, sous le soutien de son mari, dans l’écriture de fanfictions.
Nanola a 28 ans, travaille et a commencé à écrire sur papier ses propres écrits à l’âge de 14 ans. Depuis, elle s’est aussi lancée dans la fanfiction.
Archimède a 24 ans, récemment diplômée et a commencé par laisser des reviews car c’est une très grande lectrice. Elle s’est ensuite lancée dans la traduction de fanfictions pour s’habituer, puis est passée à l’écriture même.
Elles se sont inscrites début 2012 avec comme pour premier objectif de discuter avec les auteurs qu’elles lisent assidûment.

Leur point commun et la raison de leur rencontre ? Harry Potter. Car ces trois auteurs sont ce qu’on appelle des potterheads, des fans de la saga, et écrivent essentiellement dessus. De l’autre côté, Claire1663 qui, bien qu’elle parle avec d’autres auteurs, a comme pour unique relation celle avec sa bêta lectrice (point qui sera explicitée plus tard dans l’article). Âgée de 29 ans, elle est, elle aussi, adepte du fandom Harry Potter. J’ai interviewé de manière orale Mandala, Archimède et Nanola en même temps. En parallèle, j’ai envoyé un questionnaire écrit à Claire1663. Ses réponses m’ont été envoyée par mail.

Fanfiction : Une vraie communauté ?

L’écriture web leur donne-t-elle l’impression d’appartenir à une communauté ? Leurs réponses sont nuancées.
Mandala. On est une communauté sans l’être. Au sens large, on peut dire qu’on appartient à la communauté des écrivains sur le web. Mais je pense qu’il y a plusieurs communautés et différents fandoms. Je me sens plus potterhead que membre de la communauté des écrivains sur le web. Et il y a beaucoup de gens avec qui je n’ai pas de liens d’affinités.
Archimède. Ce qui nous définit, c’est le thème sur lequel on écrit, plutôt que cette vaste communauté. Je me définis comme auteur de fanfictions sur Harry Potter. Nous sommes plutôt un réseau, car sinon, cela voudrait dire que tout le monde se connaîtrait, or nous ne sommes pas connectés H24. Des groupes se forment grâce à ce réseau.
Nanola.  J’ai plutôt l’impression d’appartenir à un groupe restreint, fermé.
Mandala. Ce sont des liens d’amitié qui nous lient, plutôt que des liens de communauté. Mais on sait quand même que, quel que soit l’auteur ou le lecteur, on va se sentir comprise, on ne va pas être jugés. On peut écrire librement et parler avec ces personnes, car elles aiment la même chose que nous.

Mais l’avis de Claire1663 ne va pas dans leur sens.
Claire1663. Oui, on ne fait pas simplement qu’écrire une histoire, on la partage avec d’autres internautes, on doit faire face à leurs critiques, qu’elles soient positives ou négatives mais également à des remarques et observations. En un seul mot, partage. De plus, le choix du fandom, nous inclue encore plus dans une communauté précise.

La notion de communauté n’est donc pas perçue de la même manière par tous les auteurs. C’est là le problème de toute communauté un peu trop vaste. D’autant plus que sur fanfiction.net, on peut classer sa fiction selon sa langue. Ainsi, pourrait-on pourrait considérer qu’il y aurait une communauté par langue? Tous ces auteurs, quel que soit la catégorie dans laquelle ils rédigent, le fandom, la langue, ont un point commun : leur passion de fan. Mais les différents fandoms créent différents lectorats, et un lecteur de fanfiction Harry Potter peut ne pas lire des fanfictions Star Trek. Difficile alors d’instaurer un fort esprit de communauté, il s’agirait plutôt de groupes. De plus, y aurait-il un sentiment de compétition qui viendrait davantage mettre à mal cette idée ?

Nanola. Beaucoup d’auteurs marchent à la review. Ils font même du chantage.
Mandala. Oui, ils disent « si j’ai 30 reviews, je poste le prochain chapitre ».
Archimède. Mais il faut regarder la qualité des reviews. Certains auteurs veulent avoir un nombre important de reviews, qu’importe leur qualité. Du coup, une fanfiction beaucoup commentée ne veut pas forcément dire qu’elle est de qualité. Les reviews ne sont pas toutes constructives, mais ce type d’auteurs les veulent quand même, c’est bien triste.
Nanola.  Certains finissent par prendre la grosse tête et veulent imposer leurs idées et leurs fanfictions. Je suis pour les conseils et l’entraide, mais pas qu’on me force la main.
Claire1663. J’ai des contacts avec d’autres auteurs, il peut s’agir d’une simple salutation, d’un partage sur une remarque mais également de conseils. Il y a une certaine entraide, une auteur a bien voulu lire une de mes fics et elle m’a donnée son point de vue, un autre écrivait une fic sur une thématique que je développais également et nous avons discuté sur des scénarios, il m’a donné des conseils et proposer de me lire également -partage d’adresse mail.

L’univers de la fanfiction serait donc plus dispersé qu’il n’y paraît, car il existe des tensions entre auteurs, suscitées par la jalousie et le nombre de reviews. Qu’en pensent les auteurs interviewés ?

Archimède. C’est comme pour tout, il y a l’art et la manière de dire les choses. Tout dépend du ton, de l’auteur, du lecteur, qui donne le conseil. Un auteur qui se permette d’imposer leur point de vue parce qu’ils ont de la notoriété. Même certains lecteurs tentent d’imposer leurs idées.
Nanola. Quand un lecteur me dit : « Je ne comprends pas pourquoi le personnage a réagi comme ça, moi je n’aurai pas réagi comme ça, je voudrais qu’il réagisse d’une autre manière », je ne prends pas ça en compte. Car c’est mon histoire, or certains veulent qu’on écrive ce qu’ils veulent.

Fanfiction : Les lecteurs

Car c’est là l’avantage et le désavantage d’internet. Sous couvert d’anonymat, lecteurs et auteurs se permettent d’être vindicatifs.

Mandala. Le problème avec l’édition et le support papier, c’est qu’il faut déjà être édité. Mais on le sait bien, combien d’appelés pour combien d’élus ? Alors qu’avec le support web, on peut avoir directement le ressenti du lecteur. On peut directement communiquer avec lui par mp, et avoir ses retours.
Nanola. Mais certains lecteurs sont ce qu’on appelle des trolls. Ils te laissent des reviews vraiment méchantes et te critiquent sans même te connaître.
Archimède. Le regard du lecteur change beaucoup de choses, parce que c’est un point de vue extérieur, donc il n’hésitera pas à te dire les choses, à te dire s’il a aimé ou pas, ce qu’il a aimé et moins aimé, ils sont très honnêtes. Il faut faire la part des choses entre ceux qui sont agressifs et ceux qui proposent simplement des conseils.
Nanola. Parce que si un lecteur me dit « là y a une faute », je rectifie direct. Mais si c’est sur ce que j’écris qu’on me demande de changer, eh bien non. Car c’est ce que moi j’ai envie d’écrire. C’est mon bébé.
Archimède. Mais quand tu as des lecteurs qui te suivent depuis longtemps, qui postent des reviews depuis le début et qui ont vu ton évolution, eh bien tu prends un peu plus en compte leurs avis.
Claire1663. J’adore communiquer avec les lecteurs ou de les retrouver sur une autre histoire que j’ai écrit ou que je lis. Des fois, il y en a que t’as envie de baffer. J’ai la chance de ne pas avoir eu beaucoup de remarques négatives mais lorsqu’il y en une qui te dit « j’ai eu mal aux yeux » c’est légèrement énervant. Autant j’adore lire, écrire, échanger mais je ne me prends pas au sérieux, cela reste une activité ludique, certains se prennent réellement au sérieux. Mais cela se passe extrêmement bien. Peut-être qu’il n’y a pas autant d’échanges qu’avec les auteurs ou sur les forums mais cela reste toujours aussi appréciable.

Fanfiction : L’écriture web

Et les avis des lecteurs, mais aussi des auteurs – et finalement, l’échange facile avec eux- est l’un des avantages les plus importants de l’écriture web, et l’une des raisons évoquée par ces quatre auteurs lorsque je leur ai posé la question correspondante.

Claire1663. Ecrire sur le web, c’est déjà un travail de soi que ce soit par l’élaboration d’une histoire, d’un planning pour l’écriture, la correction, la publication mais également d’échange (en se basant que sur l’écriture) avec ma bêta mais aussi d’autres auteurs. Cela apporte une certaine satisfaction et la joie de partager cette envie avec d’autres. L’écriture de fanfiction, c’est de choisir une thématique, Harry Potter, par exemple, de développer une histoire avec des personnages, un monde déjà connu, dont les bases sont assimilées par le lecteur et de se faire plaisir. C’est vraiment une écriture de partage et en même temps de liberté.
Archimède. On est en contact direct avec les lecteurs, donc c’est beaucoup plus simple pour savoir ce qu’ils pensent de nos histoires. Et puis, l’avantage aussi, c’est qu’on peut commencer par traduire des fanfictions !
Nanola. Le support web permet la proximité avec les lecteurs, c’est ce que je voulais en m’inscrivant sur fanfiction.net. Parce que je voulais savoir ce que je valais. Alors que le support papier, tu fais lire à quelques amis, mais ils vont jamais vraiment oser te dire complètement la vérité parce qu’ils ne veulent pas te froisser. Ils ne sont pas aussi honnêtes que les lecteurs. Parce que là, tu sais ce que tu vaux car tu es confronté au regard des autres.
Archimède. On sait direct si ça plaît ou pas.
Mandala.  Avec le support papier, les retours sont beaucoup plus longs. Il faut déjà être lu, ce qui n’est pas toujours le cas !
Archimède. Alors que fanfiction.net, c’est un support web qui est très connu, très fréquenté, très visité. C’est sur fanfiction.net que je suis tombée en premier quand j’ai découvert les fanfictions. Il est très référencé.
Nanola.  Fanfiction.net existe depuis au moins 16 ans. Il a fait ses preuves.
Archimède. Et puis c’est très facile pour rechercher une fanfiction. Par exemple, il existe aussi Archive of our own, qui est un autre support de fanfictions, mais il est plus récent et son interface n’est pas simple.
Mandala. Et les lecteurs postent des reviews, alors que sur ao3, si tu as une seule review, il faut déjà t’estimer contente.
Claire1663. Je publie sur trois sites différents : le premier que j’ai connu, hpfanfiction ensuite http://www.fanfiction.net car le plus développé et celui où il y a plus de lecteurs et d’échanges et un autre que j’ai connu par l’annonce d’un autre auteur, manyfic et où j’ai trouvé ma bêta par une annonce.

D’ailleurs, dans certaines reviews, l’on peut aussi trouver de bonnes surprises.

Mandala. J’ai sympathisé par messages privées (les mp) avec une fille qui m’avait laissé des reviews. Selon elle, je devais me lancer dans l’édition de mes projets de romans originaux. Je ne savais pas encore qu’elle travaille dans une maison d’édition. Et puis elle me l’a dit en ajoutant qu’elle voulait proposer mes textes au comité de lecture. Un jour, sa maison d’édition a fait un appel de texte. Et j’y ai répondu favorablement.

Mandala a donc produit une nouvelle, au côté d’autres auteurs de fanfiction, donnant tous ainsi naissance à un recueil de nouvelles, dont vous pouvez retrouver les synopsis ici :
http://blog.mix-editions.fr/prochaine-sortie-fees-dhivers/

Mais Mandala n’est pas la seule à avoir atteint l’édition, Nanola également. Cette dernière est passée par l’édition libre, avec le site Edilivre, qui permet l’édition de romans au format papier et numérique.

Le support papier se verrait-il entrer en compétition avec le support numérique ? Car de plus en plus d’auteurs écrivent directement sur ordinateur.
Nanola. J’écris trois phrases sur papier, et après j’en peux plus. Et puis il y a toujours une différence entre ce que j’écris sur papier et ce que je recopie sur ordinateur parce que j’ajoute des choses, j’en modifie d’autres.
Archimède. J’écris parfois le plan de la fic, la base, sur papier, mais je recopie et j’améliore une fois recopié.
Mandala. J’écris sur ordinateur.

L’écriture web est donc un tremplin. Il permet de s’entraîner d’abord, surtout lorsqu’il s’agit de fanfictions. Car l’écriture de fanfictions est un exercice difficile, il n’est pas toujours aisé de respecter les caractères des personnages créés par un autre ; elle permet de ce fait de se faire la main avant le grand saut dans l’inconnu que représente un univers créé de toutes pièces par l’auteur.

Le support web est de ce fait un support de plus en plus prisé pour l’écriture. En effet, une histoire n’existe qu’à travers ses lecteurs. Si personne ne la lit, elle est tout simplement invisible. Or, tout auteur, qu’il soit amateur ou dit professionnel, souhaite être lu. Poster une fiction, et de surcroît une fanfiction, sur le web est là une manière facile et très efficace de pouvoir faire lire son histoire par de multiples lecteurs potentiels. Accessible par quelques clics, tout lecteur peut poster un commentaire de manière simple. C’est donc là une raison de l’engouement de la fanfiction web : son accessibilité. Ajoutons à cela la gratuité, et il devient vite évident pourquoi les fanfictions foisonnent sur la Toile.

Fanfiction : Légitimité ?

L’écriture web gagnerait donc davantage de reconnaissance auprès des maisons d’édition car beaucoup ont vécu l’aventure de Mandala et ont été démarchés pour publier des écrits originels.

Mandala. Il y a un marché là-dedans.
Nanola. Il y a même des vols de fanfictions. Il y avait eu un cas où un homme avait volé des fanfictions pour les mettre en vente !

Mais cette meilleure reconnaissance de l’écriture web n’est pas assurée.

Mandala. Quand on dit qu’on est auteur de fanfictions, on n’est pas toujours bien jugés. Les fanfictions doivent encore gagner en légitimité.
Archimède. Fifty Shades of Grey est une bonne comme une mauvaise chose. Cette saga a mis sur le devant de la scène les fanfictions, et ça montre qu’une fanfiction peut rencontrer le succès !
Mandala. Mais dans le même temps, Fifty Shades of Grey a mis à mal le sérieux des fanfictions. C’est une saga sur le sadomasochisme écrite par une femme, et les gens peuvent regarder d’un mauvais œil.
Archimède. Et puis aussi, toutes les trois, on écrit de l’homo-romance. Et ça, c’est pas toujours bien vu.
Mandala. Peu de personnes savent que j’écris et encore moins de l’homo-romance parce que je n’ai pas envie d’avoir à me justifier. Et puis, j’ai aussi envie de compartimenter ma vie. Écrire des fanfictions, c’est mon univers, ma passion, ma bulle. J’en ai déjà parlé à mon mari, il a été mon premier lecteur et m’a beaucoup soutenu, c’est lui qui m’a dit de me lancer. On en parle souvent, c’est très important pour moi. »
Nanola. C’est vrai qu’on rencontre parfois un sentiment d’incompréhension par rapport au fait qu’on écrit des fanfictions, plutôt que d’écrire nos propres romans. Et le fait que ce soit de l’homo-romance, ça n’est pas compris non plus.
Archimède. Mais ça m’a permis de mieux comprendre l’homosexualité, mon ouverture d’esprit a changé. Je me suis trouvée, je profite mieux des choses.

Fanfiction : Support d’échange et de relations

L’univers de la fanfiction a aussi un impact social. Nous avons parlé des relations d’auteurs à auteurs, de lecteurs à auteurs, teintés d’entraide, de tensions, et de passion de fans. Nous avons mentionné plus tôt dans l’article la notion de bêta-lecteurs : ils ont pour objectif de relire le chapitre d’un auteur avant qu’il soit posté, pour relever toutes les fautes d’orthographe et autres coquilles, et permettre à l’auteur de gagner en qualité. C’est donc là une possible relation supplémentaire, qui lie deux personnes qui ne se connaissent pas. J’ai demandé aux quatre auteurs interviewées leurs expériences et leurs ressentis sur les relations qui peuvent voir le jour grâce à fanfiction.net.

Claire1663. On a également une connexion lecteur à auteur. Un auteur que j’apprécie m’a demandé d’être une bêta lectrice -ce qui me permet d’avoir ses chapitres en avant-première. Il y a vraiment un échange voulu ou non, cela peut arriver dans la discussion comme ça ou, à partir d’un thème, demander des conseils.

Mais cela ne s’arrête pas à là. Car fanfiction.net a fini aussi par devenir un support d’échange et de discussion. Le dialogue s’avère très important, et si le courant passe bien, c’est encore mieux. Pour preuve, Mandala, Nanola et Archimède ne se connaissaient pas avant de s’inscrire sur fanfiction.net. Aujourd’hui, 3 ans après, elles ont noué de forts liens d’amitié. Elles communiquaient par mp au début. Comment sont-elles passées des messages privées à une relation profonde et solide ?

Nanola. Mais au bout d’un moment, fanficion.net ne suffit plus. Alors on a continué sur facebook, par sms, sur Skype… et puis on a fini par se rencontrer.

Nanola parle ici d’IRLs, qui signifient In Real Life, et qui ponctuent les relations nées sur support virtuel. Car les personnes qui se sont rencontrées sur Internet finissent par se rencontrer en face-à-face.

Nanola. La première fois que j’ai parlé sur skype à un auteur, j’avoue que j’ai eu peur. S’entendre parler, se voir par webcam, se rencontrer en face-à-face, ça fait bizarre.
Archimède. Ça peut être dangereux c’est vrai. Mais si tu n’essayes pas, tu ne peux pas savoir.
Nanola. La première fois que j’ai dit à mes parents que je rencontrais une amie d’Internet, ils étaient réfractaires. Ils disaient que je ne la connais pas bien.
Archimède. Moi j’ai plutôt dit que je les ai rencontrés sur un club de lecture. C’est pas totalement faux, au final. Et puis, le sentiment de peur qu’on peut avoir, eh bien le fait de se voir et de se parler sur Skype, ça limite. Parce qu’au moins, on sait que la personne est bien ce qu’elle dit être.
Nanola. Et puis on a envie de se voir !
Mandala. De toute manière, tout ce qui est rencontre sur Internet, ce n’est pas une nouveauté pour moi. J’ai rencontré mon mari sur Internet.

Elles ont fini par se voir, passer les vacances ensemble. Mais la distance géographique entre elles ne les aident pas à se voir fréquemment.

Néanmoins, cette relation amicale n’est pas le cas pour tout le monde. Car si le support web favorise l’échange et donc la relation, certains auteurs développent des relations limitées à la raison de leur inscription. Claire1663 est une bêta lectrice, mais a aussi une bêta lectrice. C’est là la plus grande relation qu’elle a noué, mais ses propos nuancent tout de même ce fait.

Claire1663. Je ne me suis pas fait de « véritables amis » avec fanfiction, je n’ai pas encore passé le cap d’une rencontre mais j’ai quelques auteurs avec qui j’échange (pas beaucoup, et juste lorsque cela se rapporte à fanfiction) mais c’est surtout avec ma bêta, par mail, pour fanfiction mais également pour se souhaiter une bonne année… Je n’ai pas d’amis lecteurs.

Fanfictions : Une aventure épique et sociale

Le support web a des conséquences considérables sur l’écriture mais aussi sur soi. En tant qu’auteur, il pousse à se mettre sous le regard du lecteur, à connaître son avis, à s’améliorer chapitre par chapitre. Les traces écrites sont non négligeables, l’on sait à quel jour on a publié tel chapitre, combien de reviews ont été postés pour ce chapitre. L’on peut y gagner une certaine notoriété, allant parfois même jusqu’à être repéré par une maison d’édition. La différence entre le support papier et le support web est la facilité avec laquelle on peut converser avec les lecteurs et gagner en proximité avec eux. Car là où le support papier limite les contacts et les retours immédiats, le support web permet l’accès à une foule de potentiels lecteurs inimaginable.

Mais autant il existe une foule de lecteurs, autant il existe aussi une quantité immense de textes à lire. Et dans cette immensité, les fanfictions de qualité côtoient celles de basse qualité. Pour ces dernières, les auteurs, parfois très jeunes, mettent justement en avant cette jeunesse pour gagner l’indulgence de leur lectorat face à leurs fautes d’orthographe et de syntaxe. Les fanfictions finissent même parfois par se ressembler ou dénaturent complètement le travail de l’auteur originel. Certains auteurs originels refusent même que leur ouvrage soit sujet à fanfictions, comme Anne Rice et Entretien avec un vampire.

Le support web finit par mettre en relation auteurs et lecteurs, pour le meilleur et pour le pire. Car si la solidarité joue un rôle très important, car lecteurs comme auteurs prennent sur leur temps personnel pour écrire, aider et conseiller, l’écriture de fanfictions est aussi le terrain pour susciter jalousie et tensions.

La fanfiction fleurte avec l’illégalité, car il n’est pas, en principe, permit d’utiliser l’œuvre d’autrui. Mais comme le disait Mandala, les fanfictions constituent un marché. Un marché qui attire auteurs en herbe, maison d’édition, espoirs et désillusions. Nul doute que les fanfictions continueront à faire parler d’elles, et qu’elles constituent à présent un point important dans l’horizon médiatique.

Fanfiction.net, et l’écriture web en général, ne laisse pas indifférent les auteurs qui se lancent dans cette aventure.

Claire1663. Au début, cela eu un réel impact sur ma vie. Sincèrement, je ne bougeais pas de mon ordi, je m’enfilais histoire sur histoire quitte à ne plus travailler mon mémoire ou avoir de vie sociale. Cela n’a pas duré et peut être que c’est juste personnel mais j’étais à fond dedans. Ensuite, j’ai fait la part des choses et même si fanfiction reste vraiment important pour moi, je m’en détache. Mais je dois t’avouer que j’apprécie d’y faire un tour tous les soirs, avant de me coucher et de lire un ou deux chapitres ou lorsque je suis fatiguée de me faire une journée (avec pause bien entendu pour courses, vie sociale…) lecture ou écriture. Je tentais également d’écrire une ou deux pages par jour.

Cet article se finira sur un point qui vous aura peut-être marqué tout le long. Les quatre auteurs sont exclusivement féminins. Et, à dire vrai, la majorité des auteurs comme des lecteurs, le sont aussi. C’est donc là un public à majorité féminine. Et cet état de fait a été soulevé par Mandala.

Mandala. On passe, notamment à cause de Fifty Shades of Grey, pour ce que nous ne sommes pas. On ne nous prend pas au sérieux, on est mal jugées. Je suis sûre que si le public était à majorité masculine, les choses seraient différentes.

KAROGLU Mélanie

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