Alexandre LEGER, Damien ANTON, Sophia GOMES
Méthode
Afin de mener à bien notre enquête nous avons réalisé un questionnaire que nous avons fait passer à tout un ensemble de personnes envoyant ou non des nudes. Nous avons décidé de ne pas nous limiter seulement à ceux qui envoyaient des nudes pour la simple et bonne raison que nous nous sommes également intéressés à la perception de cette pratique. Le questionnaire a été posté sur les réseaux sociaux ainsi que sur le groupe facebook “wanted community paris” qui est une communauté active qui prend la forme d’un réseau d’entraide regroupant 800 000 internautes, qui fonctionnent comme des forums. Les internautes peuvent poster des publications qui invitent à l’entraide et à la solidarité.
Nous avons alors attendu que le chiffre de réponses obtenu se stabilise pour en extraire les résultats. Nous avons pu obtenir au total 178 réponses à notre questionnaire.
De ce questionnaire en est ressorti de grandes tendances. A savoir que certains répondants ont fait abstraction de certaines questions, notamment celles qui invitaient à répondre de façon “libre”. De ce fait, nos résultats, ainsi que la représentativité peuvent se trouver légèrement faussés par les non réponses de certains, ce qui rend les réponses moins pertinentes.
La plupart des répondants sont des femmes. Elles représentent en 67,2% de l’échantillon soit 119 femmes. A contrario, il y a 32,8% d’hommes ce qui correspond à 58 personnes. Lorsque l’on rentre dans les détails, on remarque que 52,6% des individus sont en couple et 38,9% sont célibataires. Les autres internautes ont déclaré être dans des situations plus complexes : relations libres, poly amoureuse ou encore “compliquées”. En ce qui concerne l’âge, 75,6% des répondants ont entre 18 et 25 ans, 23,9 ont plus de 25 ans et une seul personne soit 0,6% a entre 13 et 18 ans. On peut alors estimer que ceux qui se sentent plus concernés par cette pratique sont les jeunes adultes.
Afin de soutenir nos propos nous avons lu des articles scientifiques, issus principalement de Cairn, et procédé à l’analyse de forums. L’analyse des forums nous ont amené à y voir les mêmes tendances que celles que nous avons retrouvées à l’issue de nos questionnaires.
Introduction
Le “nude” est une image érotique, une photo de nu, qui, le plus souvent, est envoyée en message privé par l’intermédiaire d’un réseau social ou par message. Il est le descendant du sexting qui quitte le simple domaine des textos pour rejoindre celui des réseaux sociaux.
Les plus grands producteurs de nudes ont entre 15 et 20 ans que l’on envoie le plus souvent le soir à son petit copain ou à sa petite copine mais parfois aussi à des amis, ou des inconnus.
Le nude tient aujourd’hui une place importante dans les échanges entre individus, la plupart du temps des individus jeunes.
On peut expliquer cette évolution par un effet générationnel. En effet, le nude tient son importance en lien étroit avec l’évolution technologique. On entend par là, la capacité des smartphones mais aussi l’apparition de nouvelles plateformes dites “sociales” qui vont favoriser ces envois. C’est ce que nous allons démontrer ici. Nous allons, tenter de comprendre comment sont apparues ces nouvelles pratiques mais surtout comment les réseaux sociaux vont venir redéfinir les frontières de l’intimité et de la pudeur chez les individus ainsi que leurs façon d’agir entre eux, dans leurs échanges.
Nous tentons ici de mettre en évidence un acte de plus en plus répandu aujourd’hui dans les pratiques. Il est question de comprendre comment les réseaux sociaux vont contribuer à l’existence de ces nouvelles pratiques, reposant sur un nouveau rapport au corps et à autrui. Ce sujet demande de s’interroger sur l’impact des réseaux sociaux au quotidien ainsi que sur le pouvoir des nouvelles technologies sur nos normes et valeurs. Par cette étude on a également pu en savoir plus sur cette pratique et son fonctionnement qui n’ont rien de commun, mais qui est caractéristique d’une société moderne voire hypermoderne.
En quoi les réseaux sociaux vont-ils modifier le comportement et le rapport à l’intime des individus ?
Afin de répondre à cette question nous verrons dans un premier temps que les frontières entre public et privé s’avèrent de moins en moins perceptibles et claires, depuis l’avènement des réseaux sociaux. Nous nous attarderons dans un premier temps à mettre en contexte les évolutions liées à la pudeur à travers l’étude d’ouvrages qui illustrent parfaitement la reconfiguration qui se joue entre espace privé et public, et qui influe sur notre perception de la nudité et la pudeur. Ensuite nous expliquerons le rôle, l’impact des réseaux sociaux et du numérique sur ces nouvelles pratiques, en mettant en évidence l’existence de nouvelles plateformes et outils qui vont favoriser ces envois avant de nous intéresser au phénomène viral, qui est celui du “send nude”. Enfin, notre dernière partie portera sur l’impact de ces évolutions numériques sur nos pratiques, sur nos façons de se comporter des individus notamment dans leur rapport à la sexualité, au couple et même la drague.
I. Banalisation de la nudité et impudeur
«Si par pudeur on entend des signes de discrétion visant notamment à la dissimulation de parties du corps, alors il est vrai que les tendances à l’exposition voire à l’exhibition de soi se sont banalisées», remarque Patrick Amey.
Nous verrons que cette banalisation répond à un besoin identitaire en lien avec une nouvelle configuration entre espace privé et espace public (caractéristique de la société société moderne), et que la nudité que l’on expose s’établit à travers des règles collectives. Ainsi, l’expression de la nudité entre deux personnes via le téléphone portable, reste contrôlée socialement notamment par autrui. On envoie très rarement n’importe quoi à n’importe qui, même s’il existe des dérives pour ceux qui ne connaissent pas les dangers concernant la divulgation de leur intimité.
- Configuration espace public et espace privé.
Norbert Elias, écrivain et sociologue allemand est l’un des premiers auteurs à rendre compte de l’existence d’un processus de civilisation, qui émerge et transcende les sociétés occidentales depuis la Renaissance. Au sein de l’une des ses plus célèbres oeuvres La Civilisation des mœurs (1939), il met en évidence qu’il existe un processus qui pousse à la privatisation et qui s’accompagne d’un encadrement des mœurs. Ce processus fait exister des normes qui incitent à agir différemment au sein de l’espace public, en reléguant des actes dans le domaine du privé.
Les études des «ouvrages de civilité» élaborés au XVème siècle, peuvent être perçus comme des manuels de savoirs vivre destinés à différencier, en terme de pratiques, les bourgeois du reste de la société. Ainsi, des moments de vie tels que les repas vont être encadrés par un ensemble de règles, qui ont pour fonction d’encadrer les comportements. Par exemple, on trouve au sein de ces manuels un ensemble d’informations qui invitent à proscrire l’usage des doigts et à favoriser l’utilisation d’une fourchette. On a donc des agissements qui sont conseillés par rapport à d’autres. En parallèle, l’ensemble de ces proscriptions s’accompagnent d’une évolution des sensibilités, qui va se diffuser, par la suite, à l’ensemble de la société. Elles vont faire l’objet d’une appropriation, d’une intériorisation et d’un auto-contrôle conduisant à des comportements nouveaux, symboles d’une civilité nouvelle et moderne. A ce constat historique, Elias propose une explication sociologique. Il lie ce « contrôle des affects » en lien avec l’émergence de changements structuraux tels que le développement d’un Etat central fort, qui s’accompagne comme le souligne très bien Max Weber, d’un “monopole de la violence physique”, et d’un encadrement de la concurrence entre les différents groupes sociaux. Pour illustrer nos propos, on peut par exemple rendre compte d’un refoulement de la pudeur dans les structures familiales dans la société occidentale à l’époque du Moyen-Âge. Alors que la famille dormait au même endroit, au sein d’une même pièce, mélangée entre enfants et parents, l’intensification et la plus grande sensibilité face à la pudeur a pour conséquence de conduire à une individualisation du rituel du couché. En effet, parents et enfants sont séparés pour préserver l’intimité de chacun, avec un rapport au corps différent. De plus, la nudité sera dissimulée par un bout de tissu, que l’on appellera chemise de nuit. Norbert Elias l’illustre très bien avec l’étude des traités où de multiples attitudes qui sévissent et qui sont pratiquées au sein de l’espace public, aux yeux de tous, se retirent peu à peu vers la sphère privée, notamment à partir du XVIIème siècle. Durant le processus de civilisation, « les hommes s’appliquent à refouler tout ce qu’ils ressentent en eux- même comme relevant de leur nature animale». Par cette citation, on voit très précisément l’émergence à cette époque d’un nouveau marquage entre les attitudes qui doivent évoluer dans le domaine public et celles qui relèvent du cadre privatif. Ainsi, les attitudes sont liées à des environnements spécifiques. Le regard face à la nudité a fortement évolué, avec une moindre visibilisation, et s’accompagne d’une sexualisation qui s’inscrit dans des espaces exclusifs et isolés.
La sensibilité évolue dans le sens d’une moindre tolérance à l’égard des manifestations corporelles d’autrui. Des sentiments de honte, de gêne, de pudeur, incitent à ne plus montrer son intimité en public. Jusqu’au XIXème siècle, il existe une frontière délimitant deux mondes séparés entre privé et le public. Or, la modernité fragilise ce schéma. Les techniques de l’information et de la communication ont eu pour action de mettre à mal cette séparation. La sociologue Dominique Mehl s’est fortement intéressée à cette séparation, avec pour principal objet d’étude, la reconfiguration entre l’espace privé et l’espace public, notamment à travers la télévision. En effet, par le biais de la télévision on est face à ce que Dominique Mehl appelle “une publicisation de la parole privée”. En effet, les médias sont devenus des scènes sociales où l’on invite des personnes lambdas à venir se dévoiler, témoignant sur des sujets hautement sensibles, et qui étaient autrefois réservés au domaine du privé, où finalement très peu de gens étaient au courant, à l’image de la confession catholique qui s’effectue au sein du parloir. Ce dévoilement de soi, ne peut se comprendre que par l’étude d’un contexte plus général, qui prend sens dans la société des années 80 jusqu’à nos jours. Ainsi, on peut aisément évoquer que c’est une société qui s’individualise et qui s’accompagne d’une faiblesse des institutions à maintenir les principaux rôles qui leur étaient confiés. A travers la société moderne, l’Homme est emprunt à individualisme c’est-à-dire que les individus vont mettre davantage l’accent sur leurs droits individuels par rapport à ceux de la collectivité. Face à l’effritement des normes et valeurs collectives qui structurent la société, l’individu doit faire face à la solitude, ce qui peut l’amener à “créer une sociabilité imaginaire dans un espace de dialogue entre soi et son corps, en lui prodiguant de l’entraînement mais aussi des soins” (David Le Breton). Autrement dit, Le Breton nous dit que l’individu qui se retrouve seul, cherche à trouver en lui un complice qui manque à ses côtés. On voit donc bien à quel point le corps n’est plus au centre de la construction identitaire de l’individu, mais qu’on cherche “à favoriser une nature et une identité multiple en l’absence de corps” (David Le Breton) pour répondre aux mutations de la société.
Désormais, avec la propagation d’Internet et l’arrivée massive des réseaux sociaux dans les années 2000, les bornes identitaires ont été transformées, en mettant fin aux contraintes corporelles. En effet, les différentes communications entre de multiples inconnus, ne se déroulent plus dans un contexte de liens directs avec une mise en présence et une relation de face à face, mais permet de communiquer à distance de manière asynchrone. Cette distanciation a pour effet de permettre à chacun de prendre une autre identité que la sienne et ainsi faciliter la séduction. Dans ce contexte, l’individu formule ses propres motivations concernant l’orientation de son existence. Autrement dit, les individus ne veulent plus être exclusivement rattachés à des groupes d’appartenance, qu’ils conçoivent comme être de véritables carcans qui confinent les individus et les restreint. Les individus veulent s’émanciper et se définir autrement que par leur groupe d’appartenance d’origine et rentrer en contact avec d’autres groupes et vivre sur un modèle de l’expérience.
Pour se faire, l’individu doit adapter son identité au groupe auquel il aspire. On se rend compte que dans ce contexte les individus sont capables de faire mouvoir les frontières entres espace public et espace privé plus facilement, en fonction de leur propre intérêt et dans une optique d’appropriation. En effet, l’idée d’obliger les individus à se comporter d’une façon ou d’une autre en fonction de l’environnement d’interaction fait que les individus veulent désormais être eux-mêmes, sans distinction entre les espaces. Les restrictions liées à l’espace se regroupent sous l’appellation « tyrannie de l’intimité (Richard Sennet). Ce sont les outils de communication, en bannière manifeste, qui permettent de mettre à mal ces restrictions. Si les individus se montrent tels qu’ils sont dans leur vie privée, c’est pour affirmer l’entièreté de leur identité, au sein d’une société qui met en avant les comportements de séduction et les attributs corporels comme support de communication interpersonnel. En effet, l’individu en se dévoilant aspire à obtenir de la part du récepteur une reconnaissance positive. Autrement dit, les demandes incessantes poussent au resserrement des espaces intimes. Les réseaux socio numériques, légitiment l’évolution du cadre normatif de la pudeur, qui fait que les usages de ces dispositifs sociotechniques intègrent dorénavant davantage des jeux avec la mise en visibilité de soi, du corps et des sentiments. C’est donc une nouvelle manière de faire en société et de la raconter.
2. Banalisation de la nudité.
La révolution du numérique et des techniques de communication, étendard de la modernité, illustre une reconfiguration profonde entre espace privé et espace public. L’intimité et la nudité ne peuvent se laisser étudier qu’à travers la mise en confrontation de deux domaines : espace public et espace privé. L’espace public désigne communément ce qui est rendu accessible à autrui, ce qui est rendu visible à un nombre incalculable de personnes qui se trouvent au sein de la société. Au contraire, l’espace privé est quant à lui confiné à travers une logique restrictive et implique un dévoilement de soi, encadré à des personnes sélectionnées au préalable. Au regard des technologies, nous ne sommes plus face à une logique antagoniste entre espace privé et espace public mais c’est l’objet de l’intimité qui doit est interrogé. En effet, à travers le maniement des réseaux sociaux, il est possible par les commentaires sur de quelconques publications de mentionner des destinataires précis, qui n’ont pas vocation à faire interagir d’autres individus, que ceux qui ont été cités. Il s’agit de commentaires qui ont pour principe de formuler un moment de complicité, par l’utilisation d’expressions, de codes qui ne peuvent être interprétés que par un nombre restreint de personnes. Pour autant, ces commentaires sont rendus visibles à une large audience. On a donc à travers ces formes de discussion qui émergent sur Internet, des formes de communication qui sont à la fois privées mais aussi publiques. A travers cela on constate l’apparition de nouvelles formes de communications interpersonnelles, qui amènent à de plus grandes possibilités sur nos capacités à s’exprimer sur nos amis et sur nous même, au risque de voir ces contenus glisser sur des scènes publiques. Le décuplement des plateformes sociales à pour résultat de faire se confondre les frontières entre monde privé et monde public, tout en entraînant dans ce mouvement de nouvelles valeurs qui sont les suivantes : liberté et jouissance. Les médias sociaux et les outils qui permettent d’y avoir accès sont des interfaces qui renforcent la multiplication des pratiques de soi. En ce sens, la manipulation quotidienne des réseaux sociaux amène les internautes à révéler un fragment de leur identité, en y renseignant un nombre important d’informations sur eux-mêmes. L’individu ne met en ligne ou ne dévoile que des informations, des images ou encore des vidéos que ce dernier accepte et autorise de transférer de la sphère privée au domaine du public. Ainsi, l’utilisateur d’une quelconque application n’y montre pas n’importe quoi mais y sélectionne les informations qu’il considère comme nécessaires à la construction et à la mise en place d’un soi dans un objectif valorisant.
Cette sélection d’informations ne correspond pas seulement à une décision purement subjective mais est aussi une réponse à des normes sociales préexistantes, en lien direct avec son milieu d’origine. Autrement dit, il existe ce que l’on peut appeler « une morale de l’exposition de soi en ligne » (Granjon) qui met en perspective des règles encadrant ce qui est autorisé de mettre à la disposition des yeux de tous. Il existe des règles entre les différents amis constituant le groupe de pairs, la nudité va “être dévoilée avec certaines personnes et d’autres n’auront jamais accès à des photos se portant sur la nudité”. Cela dépend de l’importance de la relation qui unie l’émetteur au destinataire. Ce processus de mise en scène de soi s’illustre par un désir « d’extimité» (Serge Tisseron), qui consiste à partager des particularités identitaires, liées à son l’intime, à autrui. A travers le regard et le discours de personnes extérieures, l’émetteur va alors mieux intérioriser ses traits identitaires par l’échange communicationnel avec l’entourage, “sur un mode de socialisation”. En effet, Serge Tisseron nous dit dans Le désir d’extimité mis à nu (2003) que le téléphone mobile permet “une redéfinition de la frontière publique/privée et peut être redéfinie par chacun pour son propre compte.” Ainsi, cet outil technologique qui donne la possibilité de mettre en contact deux personnes éloignées physiquement s’accompagne dans le même temps d’« une nouvelle façon de se raconter ». On constate que “la nudité n’est plus attachée à des lieux mais à une attention » (Serge Tisseron). Ainsi, on peut dévoiler son intimité où l’on veut et à qui on le désire.
Pasquier nous dit quant à lui que c’est l’ensemble du groupe de pairs, notamment durant l’adolescence qui assure l’autonomie et détermine ce qui est légitime ou non concernant le dévoilement de sa personne. L’auteur montre que le téléphone portable est à la fois le miroir de son identité (en abritant des photos, des vidéos etc.) et un outil individualiste que l’on ne prête que très peu, puisqu’il est attaché à un utilisateur. Qui plus est, le téléphone portable est rattaché à la présence de son utilisateur puisqu’il suit l’ensemble des mouvements de son utilisateur. Il est un moyen de faire ses propres choix et de partager de manière individuelle des contenus à d’autres individus. Il permet ainsi le contrôle, l’autonomie et l’échange. Il ne met pas en péril le lien mais contribue à mettre les individus en contact alors qu’ils sont séparés physiquement. Autrement dit, les médias sociaux aurait pour effet d’aider à la solidification des relations en restreignant les risques liés à l’exposition réelle. Il y a l’idée que l’écran de téléphone serait le catalyseur de la reconfiguration entre l’espace privé et l’espace public, en différenciant le moment de l’envoi et le moment de sa réception. Il est possible de repousser les frontières du privé et de mettre en place des actions qui étaient alors réservées uniquement à l’ordre du privé, mais qui n’auraient vu le jour à travers une relation de face à face. Ainsi, observer « les formes d’exposition des autres et être soi même observé en tant que producteur et diffuseur de contenus personnels fait partie de l’expérience des usagers des médias sociaux, qui reposent essentiellement sur la réception et le jugement d’autrui ». (Delage, 2018). Les frontières qui déterminent ce qui est restreint au domaine du privé et ce qui est autorisé à être dévoilé, se fait par un processus de validation collective. A travers les médias sociaux, l’internaute a pour ambition de forger et consolider son identité. Cela doit s’effectuer par un retour positif de la part d’autrui, avec par exemple la perspective de recevoir une acceptation, une reconnaissance de son physique, ce qui valorise sa propre personne et renforce son identité. En effet, dévoiler son intimité c’est une façon de communiquer sur soi, c’est « montrer des fragments de son intimité dont on ignore soi même la valeur au risque de provoquer le désintérêt ou même le rejet de ses interlocuteurs »( David Le Breton). C’est là que se trouve le risque. Il faut partager son intimité à des personnes qui ont les mêmes valeurs et la même vision de la relation. Or, en fonction du groupe de pairs de référence, le processus de reconnaissance ne répondra pas aux mêmes exigences, puisque rappelons que l’individu hypermoderne ne possède pas seulement une identité unidimensionnelle mais qu’il cherche à dévoiler l’ensemble des facettes aux diverses groupes auxquels il va être confrontés.
Cette identité plurielle démontre une forte individualisation où l’exposition à la nudité trouve toute sa place. Cependant, on peut se questionner sur la réelle légitimité de parler d’une banalisation de la pudeur et de la nudité. A ce questionnement, il est possible de dire que les internautes des plateformes sociales vont se dévoiler aux autres en mettant en avant des traits identitaires en disjonction avec leur identité d’origine. Si l’on entreprend une lecture sur une possible banalisation de la nudité, il semble essentiel de se positionner sur la notion d’impudeur, qui peut être vue finalement comme la simple volonté d’un dévoilement de soi qui est pluriel, et un désir de s’aligner sur les espérances des multiples récepteurs. Ce dévoilement de soi, prend forme à travers la formation et la transmission d’une vidéo ou d’une photo intime où l’on met en avant une partie de son corps (nudes) à destination de son petit ami ou de sa petite amie, avec pour motivation, au travers d’un retour positif, d’obtenir “une reconnaissance communicationnelle”, puisqu’il faut une acceptation et un consentement de la personne visée à la demande de reconnaissance émise. Il est intéressant de dire que les supports communicationnels, on entend par là les différents réseaux sociaux, ont rendu possible la diffusion d’un nombre multiple d’informations sur soi et de s’exposer au regard d’autrui, puisque c’est ce rapport à l’autre, par l’échange, que les individus ont la capacité d’être les maîtres de leur propre identité.
II. Les réseaux sociaux et le numérique : un rôle majeur dans ses évolutions.
- Un phénomène viral : le “Send Nudes”.
L’histoire du phénomène des nudes ne peut voir le jour qu’au travers l’existence d’internet et en est un produit unique de cette possibilité de pouvoir échanger de manière asynchrone.
En effet, comme d’autres tendances virales qui ont fait naître le “ice Bucket challenge” ou encore le “mannequin challenge”, ce phénomène puise son essence dans l’internet et il a un nom, le phénomène “Send Nudes”.
Tout remonte en 2008, sur le réseau social Flickr, où un internaute poste une image d’un chat avec une arme à la tempe.
Il est marqué : «Envoie tes photos dénudées ou je bute ce p***** de chat». La photo n’a pas fait grand bruit à l’époque. Or, en 2014, des utilisateurs de Reddit vont utiliser cette image pour en faire un mème.
Le journal “Ouest France” va définir ce qu’est un mème, « les “mèmes” peuvent prendre la forme d’images, de vidéos ou encore de sons. À visée humoristique, le “mème” existe dès qu’une personne lui donne un caractère comique en y apposant une légende, un commentaire ou en le détournant. Et plus un “mème” est personnalisé par un grand nombre d’internaute, plus il devient viral ».
L’image devient donc virale et ainsi le phénomène naît. Tout cela est à but humoristique bien sûr, au début mais très vite cela prend de l’ampleur et les individus envoient réellement des photos d’eux nus à d’autres personnes. On se rend compte, grâce à notre questionnaire que seuls 19% des individus de notre échantillon ont voulu envoyer des nudes à cause du phénomène sur les réseaux sociaux et médias, mais il est significatif.
Avant de passer à la suite voici quelques exemple de mème à propos des nudes pour comprendre de quoi il s’agit :
Aujourd’hui les “Nudes” se sont tellement répandus que lorsqu’on reçoit un message avec “Envoie moi une photo de toi”, on s’imagine directement que l’autre réclame une photo dénudée. Plusieurs raisons poussent à envoyer des nudes .
En général, ce sont des femmes qui les envoient, on peut également s’en rendre compte à travers notre questionnaire où plus 67% des personnes qui envoient des nudes sont des femmes dans notre échantillon. Leur rapport au nude, s’établit en lien avec des notions d’esthétisme. Les femmes n’envoient que très rarement une photo qui se veut “vulgaire”, mettant en avant directement le sexe de la femme, mais au contraire c’est une photo qui souligne les courbes, qui met en scène la femme dans des postures qui ont pour visée de faire monter le désir de leur partenaire. Au contraire, les hommes ont un rapport différent à la sexualité, et n’hésite pas à dévoiler leur verge, dans un rapport à la photo beaucoup plus cru. Quoique, plusieurs projets artistiques autour de “dick-pics” ont été imaginés, comme par exemple “The penis poster” , ou encore “Penis Pics Art” qui crée des collages complètement insolites autour des “dick-pics” retrouvés dans la nature. En effet, plusieurs femmes attestent recevoir des avalanches de “dick-pics” de la part d’inconnus. C’est une tendance qui augmente avec les réseaux sociaux où on peut accepter n’importe qui comme ami. De plus c’est une façon de draguer, on peut s’en rendre compte rapidement dans notre questionnaire où plusieurs personnes pense que c’est un moyen légitime. Mais nous nous intéresserons à cela plus tard. De plus, les demandes du partenaire sont la principale raison selon notre enquête, à plus de 70%.
L’ampleur du phénomène continue aujourd’hui avec les mèmes humoristiques à son sujet, on se rend très vite compte que c’est devenu une blague pour les personnes qui font ces mèmes. Cette tendance se vérifie sur internet, il y aurait même des modes d’emploi pour envoyer le bon “Nude” : l’image doit être jolie, pas vulgaire et avec un filtre de préférence, pour atténuer les imperfections. Il faut une bonne luminosité, éviter les sexes en gros plan, apparemment les fessiers seraient à la mode et surtout cacher son visage (au cas où).
Tout ceci renvoie encore une fois aux réseaux sociaux, à ce jour avec leur multiplicité où en est le phénomène, les gens envoient-ils des nudes ? Si oui comment ? Par quel réseau ? Pour quels raisons ? Il faut revenir à l’essor d’un réseau, en particulier Snapchat qui a boosté ce fait.
2. De nouvelles technologies et plateformes favorisant l’envoi de nude.
Ce qui a le plus poussé les jeunes à oser envoyer des photos d’eux nus, c’est évidemment le caractère éphémère des envois sur Snapchat. On peut remarquer grâce à notre enquête que sur l’ensemble des personnes qui ont répondu à notre questionnaire une majorité d’entre eux, plus de 100 répondants, utilisent cette application pour leurs nudes, ce qui représente 47% de notre échantillon, contre 20% pour le deuxième mode d’envoi qui sont les SMS.
Afin de justifier leur choix, les répondants évoquent souvent le caractère éphémère des messages ou des photos. Beaucoup nous disent aussi que cela permet une instantanéité, rendant les moments «chauds», plus directs. Aussi, il y a l’aspect sécuritaire, les photos et vidéos sur ce réseau, ne peuvent être vu qu’une seule fois, selon le paramétrage de la personne. De plus nous nous rendons compte que certaines règles sont respectées par une majorité des personnes que nous avons interrogées, celle du « non-screen » des photos envoyés, c’est-à-dire la non capture d’écran de la photo, ou de la vidéo, lorsque le partenaire visionne le nude. Plus de 60% d’entre eux, soit environ 1/3 de l’échantillon, estiment que c’est la règle la plus importante à respecter.
Lors de l’utilisation de Snapchat, si une capture d’écran est effectuée l’utilisateur reçoit une notification signalant une capture. Elle est envoyée aux deux personnes dans la conversation. De ce fait on est averti, et on ne peut pas procéder à une capture sans que la personne avec qui on partage la conversation ne soit au courant.
Cela établi encore plus une confiance car les règles ne peuvent être violées ou si elles le sont, on est au courant, facilitant l’envoi des nudes de manière plus maîtrisée.
Cependant depuis la création de Snapchat en 2011 ce n’était pas forcément aussi sûr, à ces débuts l’application ne permettait pas de savoir si quelqu’un avait pris une capture d’écran ou non, suite à une mise à jour plus tard la fonction apparaissait. Il est donc évident que Snapchat met tout en oeuvre pour protéger l’utilisateur, pour protéger ce qu’il envoi, ou ce qu’il reçoit. Malgré tout il existe d’autres applications qui permettent de détourner Snapchat pour par exemple ne pas notifier des captures d’écran, c’est par exemple le cas avec Snapkeep qui permet de garder les dossiers, bien au chaud, sans que l’expéditeur soit mis au courant. Cette application lancée en 2014 permet d’utiliser Snapchat en passant par celle ci. En la lançant on a toute l’interface de Snapchat, mais aucune notification ou message n’est envoyé à l’autre si il y a une capture d’écran, ou un enregistrement de l’écran (comme c’est devenu possible sur les iPhones avec l’iOs 12). Cette application est totalement autonome, du coup impossible de lancer les deux (Snapkeep et Snapchat) en même temps.
On voit également apparaître sur le net des aides pour prendre des captures d’écran sans se faire attraper. Avec une simple recherche google on se rend compte qu’il est extrêmement facile de faire une capture d’écran sans que l’interlocuteur soit au courant sur Snapchat. Cette tendance se développe de plus en plus, et cela fait parti des points qui soulèvent la confiance des utilisateurs. Dans notre enquête seul un petit nombre d’entre eux en envoient à des inconnus ou des connaissances virtuelles (28 pour le premier, et 35 pour l’autre). Faisant l’état d’un besoin de confiance importante de la part de ces utilisateurs, la majorité n’en envoi qu’à leurs petit(e) ami(e)s, ou ami(e)s.
Les individus s’adaptent donc à ses difficultés cependant, il arrive que des personnes utilisent l’envoi de nudes comme une nouvelles façon de draguer, mais nous verrons cela dans une prochaine partie.
Avec l’apparition de Snapchat, de sa messagerie instantanée, et de la banalisation de l’envoi de nudes, on voit vite émerger un nouveau business model utilisant principalement cette application. Il s’agit de la vente de nudes, ou plutôt la promotion de nudes par des femmes (en général) qui les “vendent” à travers le réseau social.
Ce modèle prend la tendance des nudes, et leur prolifération. On voit apparaître sur d’autres réseaux que Snapchat, principalement sur Twitter, des comptes de modèles qui proposent un compte “Premium Snapchat”. Il n’existe pas réellement de compte Premium sur Snapchat, il s’agit en fait de personnes qui, sur Twitter, mettent en avant des tarifs pour un certain nombre de nudes, ou de discussions.
OCe tweet montre très bien comment cela se passe. Les modèles mettent une gamme de prix, qu’il faut payer via PayPal, pour qu’elles envoient ensuite, sur Snapchat, les nudes.
On pourrait dire qu’il s’agit d’un nouveau genre de prostitution, beaucoup plus simple et qui est à la portée de tous. Avec un compte Snapchat, un compte PayPal et un autre compte sur Twitter il est facile de devenir une prostitué virtuelle. On pourrait aller plus loin et dire qu’il s’agit d’une uberisation de la profession. La facilité déconcertante avec laquelle de nouvelles personnes ont recours à ce genre de pratique est surprenante. Il faut également préciser, si cela n’est pas encore clair, que ce phénomène de communication sur les comptes Premium a lieu sur Twitter, car c’est le seul réseau parmi ceux de notre enquête qui ne censure pas les contenus trop explicites, impropres aux mineurs.
Ce phénomène encore inexistant il y a 10 ans est aujourd’hui assez banal sur Twitter, même si aucun chiffre précis n’existe à ce sujet, en faisant quelques recherches on tombe rapidement sur des personnes faisant la promotion de leur compte Premium. Le nombre de ces comptes, on ne peut que spéculer, a augmenté rapidement. De plus on peut s’apercevoir que certain(e)s acteurs ou actrices du secteur pornographique font également usage de ces comptes Premium pour être en relation avec leurs « fans ». C’est donc un phénomène qui se banalise tout autant dans le secteur du X, et qui fait parti d’une sorte de communication digitale pour ces individus. Les nudes deviennent un moyen de communication pour certaines industries.
Avec l’émergence des nudes, et antérieurement des réseaux sociaux sur le web, se pose une question, qui prend de plus en plus d’ampleur, sur la sécurité des utilisateurs de ceux-ci. Il faut prendre en compte les personnes qui peuvent se faire avoir par ces réseaux, qui peuvent devenir des victimes, on a un exemple avec le « revenge porn » qui fut une tendance sur ces sites. Le revenge porn est une pratique qui consiste à rendre publique, sur les réseaux, des images nues ou intimes d’une personne pour l’humilier, sans son consentement. Cela arrive souvent suite à des séparations entre conjoint, ou à la fin d’une romance. Et on peut l’appliquer ici pour les nudes, avec des applications comme Snapkeep il est possible de faire cela, ou l’envoi volontaire à des inconnus peut avoir ce genre de conséquence. En réaction à cela des associations ont commencé à se mobiliser pour la prévention des dangers auprès des plus jeunes. C’est le cas notamment au Canada où l’association Children of Street Society, qui s’engage pour la protection de l’enfance. Ils ont fait une campagne pour sensibiliser les jeunes sur les dangers de l’envoi des nudes, notamment les mineurs qui peuvent s’exposer à des dangers sur le net.
Face à ces dangers et à l’utilisation frauduleuse de nudes, Facebook essaye de proposer une fonction pour ne pas être victime de “revenge porn”. En effet Facebook propose qu’on leur envoie nous même nos photos intimes, pour éviter leur mise en ligne par le futur. En leur envoyant, une empreinte numérique de ces photos est créé et permet ainsi au réseau social de bloquer toute mise en ligne de ces clichés sur le réseau. On peut lire sur un article du blog de Libération ceci : « Une fois reçue par Facebook, la photo est immédiatement traitée, une empreinte numérique que l’oeil humain ne peut lire est créée et la photo originale est supprimée des serveurs Facebook. » Le problème encore une fois est que ce procédé passe par une personne, un travailleur, ce que Facebook appelle un « représentant spécialement entraîné. Le problème est que malgré tout, ces données passeront forcément par un nombre inconnus de personnes différentes. Les divers ingénieurs etc, et le scandale avec un employé de Facebook qui fut licencié parce qu’il se servait de ses accès à la plateforme pour stalker ( personne qui espionne ou traque une autre sur internet) des jeunes femmes sur le réseau. Ce cas pose un grand nombre de problème, passant de la place qu’on donne à Facebook sur notre vie privée, mais aussi, si on veut vraiment utiliser ce service, comment faire si on ne possède pas les photos, et qu’un ex-petit(e) ami(e) nous fait chanter.
Il faut se rendre compte que tout cela est bien plus compliqué que ce qu’il laisse paraître, effectivement il peut être dangereux de faire des nudes et de les envoyer à n’importe qui. Cependant, comme ce fut le cas avec le scandale Cambridge Analytica, ce qu’il faut faire consiste à mieux maitriser ses données, et savoir ce à quoi ils servent et comment ne pas devenir une victime. Tout cela passe par une pédagogie qui doit être enseignée à toutes personnes.
Les pratiques des individus vont alors s’adapter aux réseaux sociaux, et les pratiques de confiance entre individus vont se retrouver à travers ces réseaux. Nous verrons que la pratique des snaps favorisée par l’évolution des réseaux sociaux va modifier les pratiques et les comportements entre individus.
III. Des façons de procéder et de se comporter qui vont se voir évoluer.
- En couple, une sexualité 2.0.
Il semble que les réseaux sociaux ainsi que l’accessibilité accrue au numérique transforment aujourd’hui les manières et les pratiques propres aux individus et notamment aux individus en couple. En effet, les réseaux sociaux et les outils numériques accompagnent aujourd’hui grandement les individus dans leurs relations. Par exemple, beaucoup sont inscrits sur des sites de rencontre, l’approche sera alors complètement modifiée déjà par ces plateformes. Les nudes vont être une pratique illustratrice de l’évolution dans les façons de faire et de se comporter dans certaines situations et plus précisément ici en couple.
En effet, la majorité des personnes qui envoient ce genre de clichés s’avèrent être en couple et vont alors envoyer ces photos à leur petit copain ou à leur petite copine. Il semble compliqué et délicat d’envoyer ces clichés à un inconnu puisque l’on ne sera pas en capacité de savoir s’ils ne les utilisent pas contre nous. En étant en couple, une confiance est installée et les individus sont alors plus susceptibles de s’accorder ces envois. Ainsi, les images envoyées par snapchat à son copain ou à sa copine peuvent être considérées comme l’expression de la confiance accordée à l’autre. On sait que la photo peut potentiellement être diffusée mais que l’autre ne le fera pas, cette image confiée deviendra le symbole d’une intimité partagée. Elles seront donc un moyen de tracer symboliquement les frontières d’une intimité dans un couple. Tout le monde ne ressent pas le besoin d’envoyer des nudes à leur partenaires, et d’ailleurs nombreux sont ceux qui ne le font pas mais pour ceux qui le font, cela serait une preuve de confiance envers l’autre.
“C’est seulement avec mon copain, que j’aime
et en qui j’ai confiance que je peux faire ça”
Extrait de réponse d’un questionnaire
La plupart des individus questionnés envoient en effet des nudes à leur petit(e) ami(e) et en reçoivent également de leur part. On peut alors interpréter cela par la nécéssité de faire confiance à l’autre ce qui est un pilier au couple. En effet, une confiance est nécessaire pour 92,2% des individus questionnés, il s’agirait alors pour ces personnes là de l’envoi de photo dans le cadre du couple, dans le cadre d’une confiance commune mise en place et d’un fonctionnement spécifique régi par cette confiance et par des règles comme l’interdiction du “screen” (capture d’écran), et se limiter c’est à dire s’interdire l’envoi de certaines parties du corp.
Le nude peut, aujourd’hui, être perçu comme une nouvelle façon d’échanger, une nouvelle façon de provoquer du désir et d’entretenir en quelque sorte la sexualité au sein d’un couple. C’est un nouveau rapport au corps au sein du couple. Un rapport au corps que l’on peut désigner de rapport au corps “virtuel”. En effet, l’écran servira d’intermédiaire à cette nouvelle façon d’échanger en couple. Au travers de nos questionnaires nous avons pu constater que beaucoup s’envoient des nudes en couple, et cela par la demande du partenaire, et/ou pour faire perdurer une certaine sexualité même à distance, en effet nous avons pu déceler que certaines personnes ont commencé à s’envoyer des nudes en commençant une relation à distance. S’envoyer des nudes peut se faire si l’on est loin de son partenaire. Cela devient un moyen en quelque sorte, de faire perdurer une certaine sexualité et sensualité même à distance et cela au travers de photographies. La sexualité se transforme par ces nouvelles plateformes et on va passer de l’acte physique à un acte numérisé, visuel.
Les raisons pour lesquelles les individus envoient des nudes semble varier en fonction de la relation. La majorité du temps, c’est tout simplement, comme nous l’avons dit, pour alimenter le couple et faire monter le désir, surtout quand le partenaire se trouve à des kilomètres de nous. Or, d’autres fois c’est entre des individus qui ne se connaissent pas et qui s’envoient des nudes juste pour passer le temps, des individus qui ne sont pas en couple et qui apprécie ce genre de photos, qui ne voit aucun inconvénient à partager une intimité de telle sorte avec des inconnus, ou de simples amis. Cela débouche alors sur des relations sans attache, ils en reçoivent d’ailleurs en général de différentes personnes, cela ne relève alors pas d’un couple qui cherche à entretenir un lien à distance. Il semble alors que les nudes sortent parfois du cadre du couple pour aller vers des relations complètement différentes et des nouveaux schémas de couple, ou de façon de se mettre en couple. En effet, l’envoi de nude peut devenir une nouvelle façon de draguer.
2. Vers de nouvelles façons de draguer
Etant donné que les nudes reposent sur le consentement propre à chacun, certains sont tentés d’envoyer des nudes à des personnes qu’ils connaissent à peine, rencontrées sur Tinder par exemple. C’est une manière de dire qu’ils sont intéressés, la façon dont seront perçus ses envois vont l’être différemment d’une personne à l’autre. Certains ne conçoivent pas du tout ce genre de pratique comme un moyen de draguer, ils considèrent ça la plupart du temps, trop “intrusif” ou encore “intime”, ce sont les termes que l’on a le plus retrouvés au cours de nos questionnaires.
“Étant toujours dans la phase de drague je
trouve ça déplacé d’envoyer des photos intimes
à une personne avec qui la confiance n’est pas
encore instaurée”
Extrait de questionnaire
Or, aujourd’hui, les téléphones et les réseaux sociaux tiennent une place importante dans notre quotidien et dans nos pratiques. Les relations amoureuses, pour beaucoup d’entre elles, commencent sur ces plateformes. En effet il est courant que des individus commencent à discuter entre eux par le biais de sites de rencontres, d’instagram… Il semble qu’il soit courant pour les individus d’en arriver à échanger quelques photos afin de se montrer à l’autre. Il peut aussi arriver que la relation débouche sur l’envoi de nudes afin de devenir plus intime avec l’interlocuteur.
Il semble cependant selon les résultats obtenus de par nos questionnaires que l’on constate que la drague par l’intermédiaire de nude ne donne pas lieu à des relations dites “sérieuses”. C’est à dire à un couple. C’est une pratique parfois plus perçue plutôt comme un “amusement”, comme une “excitation” mais sans chercher à aller plus loin. En effet on peut percevoir les gens qui ont recours à ces pratiques comme des personnes ne recherchant pas de relations sérieuses et stables et donc ces derniers ne cherchent pas à aller plus loin et à tisser de réels liens amoureux. En effet, un répondant de nos questionnaires a déclaré que la réception de nude comme moyen de drague “peut supposer une approche uniquement sexuelle de la relation”. Cela crée alors directement des frontières entre les individus qui se limiteront à l’envoi de ces clichés et à son caractère uniquement sexuel et non dans le partage dans le cadre d’une relation de couple.
Au cours de nos questionnaires on s’aperçoit que certains individus célibataires envoient des nudes. Or, il semble que le sujet à propos de la drague par l’intermédiaire des nudes cause débat : certains sont totalement pour, d’autres, ne le sont pas et trouvent cela trop “intrusif”, trop “direct”. La drague par l’envoi de nudes semble être un sujet controversé, même si la plupart semble être contre, la proportion des personnes interrogées qui sont en accord avec cette pratique reste tout de même relativement élevée et l’écart reste faible. Sur 172 réponses à cette question, 81 soit 47,1% pensent que cela peut être une façon de draguer, et 96 soit 55,8% ne sont pas d’accords.
Il semble alors que l’envoi de nudes pour draguer soit un réel choix personnel et propre à chacun, certains voient ça comme un frein, on étiquette la personne direct et on se braque alors que pour d’autres, c’est un bon moyen de lancer la relation, on instaure une confiance dès le départ (pour les relations longues qui sont ressorties de la drague par les nudes). Mais la plupart n’ont donné lieu à aucune relation ou à des relations légères et éphémères et on peut alors considérer que la drague par l’envoi de nude ne s’avèrent pas bénéfique pour tisser des liens amoureux et que cette pratique semble alors en effet se banaliser aujourd’hui et devenir une pratique courante, mais pas encore tout à fait hors du cadre du couple.
Conclusion
Sur les réseaux sociaux, le nude prend énormément d’ampleur ainsi qu’un caractère humoristique mais il est bel et bien réel et c’est une pratique à laquelle de nombreux ’individus s’adonnent, en particulier les jeunes adultes. La modernité a modifié les rapports à l’intimité, les frontières entre public et privé ont été brouillées et on considère la pudeur différemment. En effet, nous l’avons vu, la révolution numérique à un impact important sur le privé et la pudeur. Les réseaux sociaux, les nouvelles plateformes vont modifier les pratiques. On le constate notamment au travers l’envoi de nudes qui deviennent aujourd’hui un phénomène et une pratique répandue, qui chamboule les façons d’agir des individus. Les individus vont agir au travers d’un écran, avoir accès à un espace public alors qu’ils n’auraient pas agit de cette façon sans l’intermédiaire d’un outil technologique. Cela peut s’expliquer par une confiance en un réseau social qui libère les individus et transcende les normes de pudeur et d’intimité. Il existe une forte confiance en Snapchat en raison de son caractère éphémère. Autrement dit, l’envoi apparaît comme sécurisé, ce qui n’est pas le cas.
Les individus ont un rapport avec leur propre corps, mais aussi des relations entre eux, lorsqu’ils sont en couple, qui sont traversées par de multiples transformations et reflètent des contextes sociétaux diverses. L’intimité n’est alors plus perçue de la même façon, et la confiance accordée à l’autre au sein du couple évolue par l’intermédiaire des réseaux sociaux. L’envoie de nudes en est un élément marquant. Les réseaux sociaux et le numérique vont alors venir modifier les pratiques des individus en termes de drague et de sexualité au sein du couple mais également les façons de s’exprimer.
On peut alors constater qu’une pratique, comme l’envoi de nudes, peut s’expliquer par l’évolution du numérique mais on voit également que cette évolution numérique a elle aussi un impact sur ces pratiques. Il y a alors une influence mutuelle entre les pratiques des individus et le numérique et son évolution.
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